CHAPITRE 17 : Un nouveau service à thé.

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Le mois de décembre arriva très vite.
Alice avait retrouvé ses habitudes avec Janice, et l'on n'entendait plus parler du sombre chapelier dans le manoir. Après les évènements du mois de septembre, Madame Elisa prit la décision de condamner l'aile ouest du manoir de manière définitive. Un mur de pierre fut érigé en lieu et place du cordon rouge.
La montre qu'Alice avait utilisée, l'Hybris Artistica de son défunt père, avait été mise dans un coffre fort que Stephan scella par magie.
Mais Alice ne songeait pas à l'utiliser, d'ailleurs elle fit tout ce qu'elle put pour l'oublier.
Madame Elisa avait renoncé à toutes ses visites mondaines depuis que l'empoisonneur du bal d'hiver avait été formellement identifié. Cependant, le manoir vit peu à peu les visites mondaines venir à lui et se succéder.
Le bruit de l'aventure d'Alice avait fait le tour du monde des mille merveilles, et tous tenaient à rencontrer la petite fille qui avait affronté le sombre chapelier.
Elle souffrit ainsi de nombreuses cérémonies, mais toujours sous le regard bienveillant de sa tante.

Le matin du 31 décembre, à l'occasion du Nouvel An, Anette arriva en courant dans la chambre d'Alice. Suite à son retour au manoir, celle-ci ne pouvait s'empêcher de regarder la petite femme rousse du coin de l'œil, avec une méfiance irrationnelle. « Vous ne devinerez jamais qui va venir au manoir ce soir ! lui dit-elle d'un ton enjoué
- Aneeeette ! gémit Alice la tête dans l'oreiller, il est encore trop tôt !
- Mais vous ne savez pas encore la nouvelle !! je voulais vous le dire immédiatement ! »
Alice leva la tête : « Qui va venir Anette ?​
- Le priiince !! » dit-elle avant de pousser des petits cris de joie en sautillant sur place
Alice se redressa vivement. La dernière fois qu'elle avait vu le prince, il était haut comme trois pommes et elle le tenait dans sa main.
« Le prince Raphaël ? demanda Alice, pour être sûre d'avoir bien entendu
- Bien sûr le prince Raphaël, qui d'autre ?! lui répondit Anette comme si la question était des plus idiotes
- Bien Anette. Je vais me lever. Merci. » Lui dit Alice en soupirant.
Elle ne savait pas ce qu'elle lui dirait quand elle le verrait. En s'habillant, elle se dit que Janice aurait sûrement une idée. Et de plus, elle serait présente ce soir donc elle pourra compter sur elle quand elle sera face au prince.

Elle passa la matinée dans la bibliothèque. Sa tante organisait la réception du Nouvel An accompagnée de Stephan, qui vérifiait tout les aliments qui entraient dans le manoir. La venue du prince, aussi inattendue que le soir du bal, avait en effet plongé tout le personnel et Madame Elisa dans une sorte de paranoïa collective.
Janice arriva l'après-midi et elles essayèrent leurs robes ensemble, s'amusant à se faire des révérences, imaginant des sujets de conversations qu'elles pourraient avoir le prince. Janice espérait qu'il invite Alice à danser. Elle peignait un paysage de romance à l'eau de rose, et s'amusait de voir Alice rougir lorsqu'elle en parlait.

Ce à quoi Alice ne s'attendait pas, c'était de voir son amie perdre tout ses moyens une fois devant lui.
« Bon... bonjour... votre... alt... altesse ! balbutia-t-elle lorsqu'il vint les saluer.
- Janice. » Lui dit-il en s'inclinant.
Elle devint écarlate en une seconde. Alice, qui comptait sur elle pour lui donner du courage face au prince, se désespérait à présent.
Le prince lui prit la main et y déposa un baiser. Décidément. Elle ne l'avait vu faire cela qu'avec elle. « Alice. Je suis ravi de te revoir. »
Alice lui fit une révérence gracieuse. C'est qu'elle s'était entraînée. « Votre Altesse. »
Ses cheveux blonds lui donnaient un air candide, mais ses yeux d'un vert vif reflétaient une chose étrangement familière à Alice. Mais elle ne put mettre le doigt dessus.
La piste de danse vit peu à peu les invités se mettre en mouvement, et le prince fut appelé ailleurs. Quand elles furent enfin seules, Alice se tourna vers son amie trop émotive : « Je ne comprends pas ! lui dit-elle, tu voulais le rencontrer depuis une éternité et quand il est devant toi tu ne trouves rien de mieux à faire que bégayer !
- Je sais, lui répondit Janice d'un air contrit, j'ai perdu tous mes moyens ! Il m'impressionne tellement ! »
Ce n'est qu'un prince après tout, se dit Alice pour elle même, de peur de provoquer à Janice une attaque.

Le prince Raphaël ne revint vers Alice qu'à une heure avancée de la nuit. Janice s'était endormie sur un fauteuil, et Alice regardait une femme visiblement très avinée qui essayait de faire disparaître des objets sous les yeux ébahis d'un groupe d'invités.
« Les enchantements et le vin ne font pas bon ménage généralement. » Entendit-elle derrière elle.
Le prince, un verre de champagne à la main, s'assit près d'Alice. « Généralement, les gens évitent de faire des tours lorsqu'ils ont bu, poursuivit-il en désignant la femme du doigt, certains accidents ne sont pas beaux à voir.
- Je n'avais jamais vu quelqu'un faire disparaître un objet.
- Ho ça, ce n'est rien. Tu tomberais à la renverse si tu voyais ce que les gens de la cour sont capables de faire ! » lui dit-il.
Elle sauta sur l'occasion. « Je suis désolée, pour le bal d'hiver. J'espère que votre guérison n'a pas été trop pénible. » Il l'observa en penchant la tête. « Mais tu n'y étais pour rien Alice, tu as été victime de cet imposteur autant que moi. Et puisqu'on en parle, je voulais te dire à quel point je te trouve courageuse... d'avoir affronté cet homme, seule... »

Il plongea ses yeux dans son verre. « Je ne sais pas si tu es au courant, mais je ne suis pas le fils naturel du roi et de la reine. »
Alice le savait, oui.
Le prince poursuivit, sans lâcher son verre des yeux : « Mon père était le frère du roi Alanor. Il a été tué par le sombre chapelier. »
Surprise par cette confession inattendue, Alice ne savait pas quoi lui répondre.
« Ce que je voulais te dire en fait, c'est merci, lui dit-il en levant soudain la tête vers elle. Merci de ne pas avoir laissé ce monstre s'échapper. »
Ainsi, il la comprenait et lui était reconnaissant d'avoir empêché le retour du sombre chapelier. Les deux enfants se sentirent alors plus proches que jamais.

Lorsqu'ils se quittèrent, Alice ne savait pas quand elle le reverrait. Mais elle savait qu'un lien d'amitié venait de naître entre eux, un lien qu'ils étaient les seuls à comprendre, car ils avaient connu la même souffrance.


Matin du 13 Janvier 2012 — Bureau privé de Madame Elisa.

Madame Elisa prenait le thé dans son bureau. Presque un an s'était écoulé depuis l'arrivée d'Alice. Elle était heureuse de la voir grandir, chaque jour. L'enfant avait beau être le portrait de sa mère, elle lui rappelait son frère Jonas par son caractère. Depuis le mois de septembre, elle avait exercé une surveillance constante sur Alice. Elle sentait qu'elle lui cachait quelque chose, quelque chose qu'elle avait vu ou que le chapelier lui avait dit, qui la réveillait en hurlant la nuit. Le médecin qu'elle avait fait venir avait tenté de calmer son esprit, mais les cauchemars ont persisté. Avant de s'évanouir. Depuis le Nouvel An, Alice dormait mieux. Et Madame Elisa s'en réjouissait.
Les affaires du manoir n'étaient pas mauvaises non plus. Répandue comme une traînée de poudre, l'histoire d'Alice Mervel avait suscité un engouement nouveau pour les sublimes horloges d'Archibald, et les commandes avaient explosé.
Les fées bleues du jardin étaient mieux traitées que jamais. Personne ne jouait avec elle bien entendu, mais personne ne prenait la peine de les chasser lorsqu'elles entraient dans le manoir. La vie avait repris son court, et l'on ne pouvait trouver de demeure plus harmonieuse dans tout le monde des mille merveilles.
La tasse à la main, Madame Elisa songeait à tout cela, feuilletant distraitement les pages d'un livre de compte.
Quelqu'un toqua à la porte.
« Entrez ! » dit-elle sans lever les yeux.
La porte s'ouvrit. « C'est pour... »
Madame Elisa ne put finir sa phrase. La personne qui venait d'entrer n'était pas Stephan. 
Un homme, à l'aspect hirsute, venait de s'introduire dans le bureau.
Des yeux couleur noisette scrutaient Madame Elisa à travers une épaisse barbe et des cheveux longs couleur chocolat.
Madame Elisa lâcha la tasse qu'elle tenait. Un bruit de porcelaine brisée retentit.

« Jonas »

« Jonas »

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Alice Mervel, Les Secrets du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant