3 - Sasha la malchanceuse

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Une journée bien pourrie. Ce serait le titre de la photo qu'une de mes collègues du théâtre a prise de moi lorsque je suis arrivé crevé, des mèches dans tous les sens, une tache de café impossible à faire partir et un trou dans mon collant.

Si j'étais d'un naturel optimiste, je me serai dit que je ne pouvais pas tomber plus bas. Mais je suis pessimiste et je sais que la malchance se cumule et que je ne suis pas loin de me faire virer de mon premier emploi vu ma tenue et mon comportement d'aujourd'hui.

Je n'aurais jamais dû rentrer au Marvelous DINER.

Victoire, alias « Vicki », me montre à la fin de notre service la photo de ma déchéance. Cette petite blonde rondouillette est la seule que j'estime assez pour la considérer comme une « amie ». Elle fait du bon boulot, a du caractère, réceptive à mon humour, et puis elle accepte toujours de me remplacer. Je voulais la présenter à Mathis mais elle est convaincue qu'il ne s'intéressera pas à elle à cause de son poids et de sa taille.

- Tu vas faire quoi du coup ? me demande-t-elle en même temps qu'elle se change.

- Pour le travail ? Je vais postuler dans une autre boite ou travailler le matin, genre dans une boulangerie à la caisse.

- Ça craint Sasha, tu n'as plus une minute à toi ! Ça fait trois mois qu'on doit se faire un ciné mais tu es toujours occupée.

- T'as qu'à y aller avec Mathis, dis-je d'un ton malicieux.

Vicki expire avant de se mettre dos à son casier. J'en profite pour essuyer mes lunettes en me joignant à elle.

- Je suis sûr que vous iriez bien ensemble, repris-je. Vous avez des goûts similaires !

- Et si je le vois, que je tombe amoureuse mais qu'il me trouve laide ? Ou qu'il n'aime pas les comédiennes ? Mon petit cœur sera brisé !

- Tu n'as pas essayé. Écoute, je lui ai déjà parlé de toi. Il me manque ton feu vert pour que je lui passe ton numéro.

- Je n'ai pas autant confiance en moi que toi Sasha. Sur les planches oui mais dans la vraie vie je m'écrase.

Je lui tapote l'épaule, ne sachant pas quoi répondre pour l'encourager, et enfile mon manteau sur ma chemise tachée. Nous sortons du théâtre et faisons un bout de chemin ensemble en métro tout en parlant du boulot, de la pièce de ce soir et de notre aversion pour la multiplication des pièces de théâtre où les acteurs se retrouvent nues sur scène sans justification. Et puis nous ré-abordons le cas « entretien foireux » de ce matin :

- Tu sais, je pense que tu devrais y retourner pour te plaindre. Au moins pour le café, même si ce n'est pas la faute du gérant. Et tu devrais demander les vraies raisons du refus de ta candidature parce que « pas adapté » c'est hyper vague !

- Maintenant que tu le dis, je mérite d'avoir plus d'explication.

Nous nous séparons lorsque je descends à mon arrêt et j'en profite pour repasser dans la rue du Diner. En m'approchant, je sens que l'ambiance est différente, l'air est plus frais. Je vois toujours des gens dans le Diner mais aucune musique ne sort de l'établissement. J'ouvre ma parka, prête à montrer les dégâts de ce matin sur ma chemise à monsieur Luz.

J'entre vivement dans le Diner pour me donner de la confiance lorsqu'un éclair m'aveugle et me fait m'écrouler sur le carrelage en damier. Je sens des picotements suivis d'une violente douleur. Je passe ma main sur mon ventre.

C'est mouillé. Ma main est rouge. Rouge sang.

Oh non non non. Je ne peux pas partir maintenant. Mathis a besoin de moi.

The Marvelous Diner [ÉDITÉ CHEZ HLAB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant