Chapitre 5 - partie 1

7 1 0
                                    

Déconvenue à New York

Zoey ne savait pas très bien combien de temps elle avait passé assise dans la neige, en espérant le retour de sa mère, mais elle s'en fichait.
« Zoey ! » Tristan se précipita vers elle et se laissa tomber à genoux à ses côtés.
« Zoey, que t'est-il arrivé ? Tes lèvres sont bleues. Depuis combien de temps es-tu dehors ? Tes joues sont couvertes de givre. Zoey ? »
Zoey le regarda dans les yeux, mais elle avait trop mal pour parler.
« On dirait vraiment un zombie. » Simon se pencha en avant pour l'examiner plus attentivement.
«  Même sa peau est devenue grise. Peut-être qu'elle fait partie des infectés. Ce qui me rappelle qu'il nous faut un plan en cas de zombies − tout le monde a besoin d'un plan en cas d'attaque de zombies. »
Tristan ne prêta pas attention à Simon et attrapa Zoey par les épaules pour la secouer.
« Zoey, fit-il doucement, Zoey, que s'est-il passé ? Pourquoi es-tu comme ça dehors, dans le froid ? Est-ce que ça a un rapport avec ce que tu voulais nous cacher ? Zoey ? Pourquoi tu ne réponds pas ? »
« Elle a l'air mal en point, fit Simon, la mine grave. On devrait la ramener à l'intérieur avant qu'elle meure d'hypothermie. Elle est restée dehors sans bouger trop longtemps, dans le froid. »
Tristan souleva Zoey dans ses bras comme si elle ne pesait pas plus lourd qu'un enfant et il se dirigea vers l'auberge.
« Je vais chercher Aria. » Simon ramassa les moufles rouges de Zoey et se précipita en tête, s'enfonçant dans la neige à hauteur du genou. Il glissa, tomba et finit par atterrir d'un bond incertain sous le porche verglacé. Quelques instants après qu'il eut disparu à l'intérieur, Aria sortit en trombe.
« Qu'est-ce qui lui est arrivé ? » Aria prit les mains de Zoey dans les siennes. « Elle est toute raide et congelée ! Vite, emmène-la à l'intérieur ! »
Aria lui tint la porte ouverte, pressant Tristan à entrer au plus vite. « Installe-la au coin du feu, je vais chercher du thé et une couverture. » Aria disparut en direction de la cuisine.
Doucement, Tristan déposa Zoey sur le canapé près du feu. La chaleur des flammes la réveilla lentement. Ses doigts et ses orteils se mirent à lui brûler, tandis que sa chair gelée se réchauffait.
« Zoey, que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui ne va pas ? » Tristan s'était assis près d'elle sur le canapé, le visage tendu et inquiet.
« Mal », fut tout ce que les forces de Zoey lui permirent de prononcer. Ses doigts lui donnaient l'impression qu'ils allaient tomber à tout moment.
« Vite, frotte-lui les mains, dit Aria en posant une tasse de thé sur la table basse et en retirant les bottes de Zoey. Je vais lui masser les pieds pour faire circuler le sang. »
Tristan et Aria entreprirent de lui réchauffer les mains et les pieds, tandis que Simon restait assis dans le fauteuil à côté d'eux, serrant ses moufles rouges dans sa main.
Au bout de quelques minutes, Zoey se sentit revivre. Elle avait l'impression de se réveiller d'un très long somme.
« Je vais mieux, finit-elle par articuler d'une voix rauque. Merci. »
Elle se sentit un peu stupide et retira ses mains de celles de Tristan, qui ne semblait pas vouloir la lâcher. Elle regarda autour d'elle. L'auberge était calme.
Puis elle se souvint de Claudia.
Avait-elle tout entendu ? Depuis combien de temps se cachait-elle comme un serpent derrière cet arbre, épiant sa conversation privée avec sa mère ? Allait-elle le raconter à quelqu'un ?
Aria enroula une couverture en laine autour des épaules de Zoey et lui tendit le thé. « Tiens, bois ça. C'est du thé mystique. Il va te réchauffer et te redonner des forces. »
Zoey posa ses mains autour de la tasse chaude et en prit une gorgée. « C'est très bon, merci. On dirait du miel. J'adore le miel. » Aria secoua tristement la tête.
« C'est entièrement de ma faute. Je n'aurais pas dû me montrer si dure avec toi, Zoey. Je n'aurais jamais cru que je te ferais fuir. Tu aurais pu mourir dans le froid. Je suis désolée, Zoey, pourras-tu un jour me le pardonner ? »
Les larmes inondèrent les grands yeux jaunes d'Aria, et aussitôt, Zoey se sentit plus coupable que jamais de lui cacher la vérité. « Ce n'est pas de ta faute, Aria. » Zoey avala un peu de thé, laissant la chaleur apaiser son corps glacé. Elle se sentait de plus en plus solide à chaque gorgée. « Non, c'est moi. Crois-moi. Tu n'as rien à voir avec ça. »
« Je ne comprends pas, dit Aria, ses quatre mains posées sur ses hanches. Alors pourquoi es-tu restée dehors si longtemps ? Pourquoi n'es-tu pas rentrée à l'intérieur si tu ne craignais pas ma réaction ? »
Zoey baissa les yeux. « Tu ne comprendrais pas. C'est terminé. Ne t'inquiète plus pour moi. »
Mais Aria n'avait pas l'air convaincue. « Alors garde tes secrets. Mais j'ai promis à l'agence que je prendrais soin de toi, et je suis inquiète. Maintenant, je vais aller te préparer un peu de ma fameuse soupe de goule aux épices. Les garçons, gardez un œil sur elle le temps que je revienne. »
Zoey regarda Aria disparaître. Tristan et Simon la dévisageaient dans un silence gêné.
« Est-ce que tu vas enfin nous dire ce qui s'est passé, demanda Simon, ou faut-il qu'on te fasse cracher le morceau ? »
Zoey sourit. Simon savait toujours dissiper les tensions. Elle prit une longue inspiration tremblante et commença à leur raconter son histoire. D'abord, elle leur parla de ses dons spéciaux, et de la façon dont elle en avait pris connaissance, par l'intermédiaire de Mme Dupont.
Leurs visages étaient inexpressifs. Elle leur raconta qu'elle s'était terrée dans sa chambre au cours des dernières semaines pour essayer de se concentrer et de retrouver ses capacités à se miroir-porter.
Enfin, elle leur parla de la Minitienne et du message secret de sa mère.
Une fois qu'elle eut terminé, elle s'adossa contre le canapé et attendit. Elle regardait Tristan et Simon avec nervosité.
« Ça alors, dit Simon en se penchant en arrière tout en fouettant son menton avec les moufles. Donne-moi des gifles, je dois être en train de rêver. C'est du lourd que tu viens de nous balancer. Bon sang, ce que je donnerais pour voir la tête d'Aria quand tu as débarqué dans son évier nickel chrome... ça a dû être génial. À moi, elle me fait un peu peur. »
Il enfila les moufles rouges et se mit à imiter des marionnettes.
Zoey se tourna vers Tristan et il lui sourit. « J'ai toujours su que tu étais différente, l'Égarée, la taquina-t-il. J'avais raison. Tu es spéciale. »
La chaleur empourpra les joues de Zoey et elle fixa ses doigts. Elle aurait voulu pouvoir fondre sur ce canapé et disparaître.
« Et bien, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose. Quoi qu'il en soit, ou qui que je sois − ça fait de moi une cible. »
Tristan se pencha vers elle. « Alors, ta mère t'a cachée à l'orphelinat parce qu'elle savait que tu y serais hors de danger. »
Zoey hocha la tête. « C'est exact. Elle m'a abandonnée par amour, pas parce qu'elle ne voulait pas de moi. » Même en le disant, elle sentit un réconfort qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant.
« Elle savait que si les Alphas et Mme Dupont apprenaient mon existence, ils me pourchasseraient pour mes pouvoirs. » Zoey se renfrogna. « Mais elle m'a aussi expliqué que l'agence n'était pas un endroit sûr et que je devais la quitter. »
« Quoi ? Tu ne peux pas quitter l'agence ! » s'exclama Simon.
Il baissa la voix en réalisant qu'il venait de hurler.
« Je veux dire, c'est n'importe quoi. C'est bien plus sûr ici que dehors avec les Inactifs. Et on ne connaît toujours pas la quantité exacte de mystiques clandestins qui ont traversé. Ils donneraient tout pour massacrer un agent distrait. Non, tu es plus en sécurité ici avec nous. »
« Il a raison, renchérit Tristan. Ici, tu as des amis, et des gens qui tiennent à toi. C'est ici, chez toi. »
Zoey ne répondit pas. Elle n'était pas sûre d'être vraiment plus en sécurité à l'agence. Elle avait déjà été dupée par l'agent Stokes. Sa mère l'avait mise en garde contre les traîtres. Sa mère avait-elle été elle-même victime d'une trahison à l'agence ? Puis un détail lui revint à l'esprit.
« Ma mère a dit que Mme Dupont et les Alphas me cherchaient, ajouta-t-elle, et elle a ensuite parlé d'eux. Comme si eux désignait quelque chose d'autre, quelque chose d'encore plus terrifiant. »
Tristan regardait Zoey. « Et tu penses qu'eux, c'est qui ? »
Zoey resta un moment sans rien dire, se remémorant la terreur sur le visage de sa mère. « J'ai vu quelque chose, dit-elle. Ma mère avait peur de quelque chose pendant qu'elle me parlait. Je l'ai vu, pas distinctement, mais c'était gros et méchant, et ça terrorisait ma mère. Quoi que cette bête soit, elle en a après elle. Je crois que c'est ce qu'elle désignait par eux. Elle est en danger, et je dois la retrouver. »
« Où est la Minitienne maintenant ? demanda Tristan en se penchant en avant. Peut-être qu'elle sait où se trouve ta mère ! »
« C'est ce que j'ai cru, dit Zoey, mais je ne pense pas qu'elle le sache. C'est juste une impression. Le message qu'elle m'a montré était ancien, il devait dater d'une dizaine d'années environ. En plus, même si je voulais l'interroger, c'est impossible. Elle est partie. »
Zoey jeta un coup d'œil circulaire sur l'auberge et baissa la voix.
« Vous ne devez en parler à personne, les garçons, pas même à l'agent Barnes. Du moins, pas encore. Je dois en apprendre plus sur mes pouvoirs. »
« Ton secret est bien gardé avec nous. » Les marionnettes aux mains de Simon se battaient. « Personne d'autre n'en saura jamais rien, c'est promis. »
Zoey soupira et reposa sa tasse vide sur la table basse. « Sauf que ce n'est pas tout à fait vrai. Claudia était là. »
« Quoi ? » s'exclamèrent Tristan et Simon en chœur.
« Elle m'a vue, et elle a vu ma mère. »
Zoey sentit sa rage revenir.
« J'ignorais qu'elle était là jusqu'à la fin du message. Elle se cachait derrière un arbre comme la petite lâche qu'elle est. »
Tristan se leva et se mit à faire les cent pas dans le salon. « Elle a tout entendu ? »
« Je ne sais pas. » Zoey se souvint du sourire triomphant sur le visage de Claudia. « J'en ai bien peur. Je sais qu'elle va le raconter à quelqu'un tôt ou tard. Que va me faire l'agence ? »
« Je ne sais pas », dit Tristan, avant de se taire pendant un long moment.
« Alors, je dois agir vite. »
Zoey rejeta sa couverture et commença à lacer ses bottes. Une fois qu'elle eut terminé, elle se leva. « Je pars pour New York, avant qu'ils essaient de m'en empêcher. »
Simon leva les yeux de son spectacle de marionnettes. « Quoi ? »
« Je m'en vais », dit Zoey en prenant conscience qu'elle était bien décidée à mettre son idée à exécution.
Simon bondit. « Tu veux dire, maintenant ? Mais − tu n'es plus, euh, congelée ? Je crois qu'on devrait rester ici, il fait chaud. À New York il neige aussi, tu sais. Et il y a beaucoup de vent. »
Zoey glissa un coup d'œil en direction de la cuisine. Aria s'activait derrière le comptoir et ne leva pas les yeux.
« Vous n'êtes pas obligés de venir, mais j'ai besoin de le faire. Je dois découvrir ce qui est arrivé à ma mère et où elle est. Quelque chose lui en veut. Elle a besoin de moi. New York est le dernier endroit où elle a séjourné. S'il existe des indices sur sa disparition, alors j'imagine que je les trouverai là-bas. »
« Je viens avec toi », dit Tristan.
Simon retira les moufles rouges et les tendit à Zoey.
« Tristan est peut-être légèrement plus beau et un tantinet plus costaud que moi, dit-il en adressant un large sourire à son ami, et je sais que les filles aiment les garçons forts − mais je suis plus intelligent. Et vous allez avoir besoin de mes talents spectaculaires pour cette mission dans laquelle vous vous embarquez. Alors je viens avec vous, moi aussi. »
Zoey sourit. « Bien. Allons-y, vite et sans faire de bruit avant qu'Aria ne nous voie. »
Sans un mot, ils se faufilèrent tous les trois par la porte d'entrée et prirent la direction du hall des miroirs, à la ruche.
Zoey fut la première à atteindre les portes et elle les ouvrit. Ils tapèrent des pieds pour faire tomber la neige de leurs bottes et pénétrèrent dans le grand hall de marbre. Des miroirs ronds, carrés, rectangulaires et même triangulaires pendaient jusqu'au sol des deux côtés du couloir.
Le hall bourdonnait. Ils se dévisagèrent. Un brusque courant d'air lui effleura la joue. Non loin d'eux, un miroir ovale au cadre doré se mit à onduler comme la surface d'un lac et une ampoule verte s'alluma juste au-dessus. Deux hommes recouverts de neige en sortirent.
« Le directeur Hicks ne sera pas content d'apprendre que nous avons perdu un autre Yéti, disait le premier homme au second. Si seulement ils pouvaient arrêter de dévorer toutes les vaches − ils ne nous facilitent pas la tâche. »
En s'efforçant de prendre un air détendu, Zoey se dirigea vers un grand miroir argenté à côté duquel on pouvait lire l'inscription : États-Unis d'Amérique. Tristan et Simon la rejoignirent. Elle jeta un coup d'œil à ses amis, en essayant de ne pas paraître trop nerveuse.
« Prêt, c'est quand vous voulez », dit Simon, d'une voix plus courageuse que ce que son visage trahissait. Tristan serra la mâchoire et fit un petit sourire à Zoey, qui voulait dire on est avec toi.
Zoey s'approcha du panneau latéral et leva le doigt.
« Arrêtez-vous tout de suite ! »
Une vieille femme, petite et replète, aux cheveux courts couleur paille, accourait vers eux. Son visage ridé arborait un air de supériorité.
« Super, murmura Simon, voici Mme Jenson, la nouvelle réceptionniste. Elle est dix fois plus braillarde que Mme Andrews. »
Zoey sentit son estomac se nouer. Elle se remémora l'atroce façon dont Mme Andrews avait été abattue, ici même, dans le hall principal.
« Restez calmes, dit Tristan. Elle n'est pas obligée de connaître la vérité. »
Mme Jenson s'était campée, les mains sur les hanches, et les scrutait d'un air suspicieux. Elle ressemblait à un vautour trop bien nourri.
« Que faites-vous ici un samedi ? Vous ne devriez pas être dans vos familles ? » Elle se tourna vers Zoey et ajouta : « Pas vous, bien sûr. »
Zoey dévisagea la femme. Elle n'aimait pas la façon dont elle avait dit vous, comme si Zoey était inférieure, comme si elle était une apprentie de seconde zone. De toute évidence, elle faisait partie de ceux qui pensaient que les Égarés ne devaient pas être admis dans le programme.

MYSTIQUES : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant