Chapitre 3 - partie 2

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Il s'éloigna lentement, et Zoey les regarda disparaître par la porte d'entrée de l'auberge.
Zoey avait envie de courir après ses amis pour tout leur raconter, mais quelque chose l'en empêchait. Du coin de l'œil, elle vit qu'Aria la regardait, et elle se força à ne pas tourner la tête vers elle.
Zoey remonta les marches quatre à quatre et referma la porte de sa chambre. Elle se sentait toujours mal d'avoir menti à ses amis. Elle sortit alors son MDF et se concentra.
Mais comme tous les samedis du mois qui venait de s'écouler, rien ne se produisit. Elle voulait en savoir plus sur ses pouvoirs, et elle n'était pas prête à baisser les bras. Elle devait continuer d'essayer.
Peut-être qu'aujourd'hui, elle y arriverait...
Son reflet la regardait dans le MDF, et elle pensa aux endroits où elle était certaine qu'il existait des points d'ancrage. Elle ne voulait pas atterrir dans le bureau de Mme Dupont, ou dans un autre endroit inattendu.
Elle songea au jour où Tristan, Simon et elle s'étaient miroir-portés à Troll City. Elle se concentra sur Parrods, le centre commercial londonien. Elle espérait pouvoir s'y matérialiser, pour remplir ses poches de délicieux bonbons. Elle se concentra jusqu'à sentir que son crâne allait exploser sous ses efforts et que son cerveau allait se mettre à fuir par ses oreilles.
Puis elle attendit... attendit...
Rien. Pas même un léger flottement dans le miroir-port. Au bout d'une heure, son bras commença à s'engourdir et sa tête lui faisait mal. Contrariée, elle poussa un cri et referma son MDF.
« Pourquoi tu refuses de marcher ? lança-t-elle en tapant du pied. Allez ! Tu fonctionnais avant ! Qu'est-ce qui cloche ? C'est trop frustrant ! »
« Zoey ? Est-ce que tout va bien ? » lui parvint la voix d'Aria derrière la porte de sa chambre.
Zoey suspendit sa respiration. « Oui, Aria, je m'entraîne à mes mouvements de défense », mentit-elle à nouveau.
Il y eut une pause, puis la voix d'Aria reprit : « Et bien, essaie de t'entraîner un peu moins fort. »
« D'accord, désolée. Je ferai moins de bruit. Promis. »
Dès que les bruits de pas d'Aria s'estompèrent, Zoey se remit au travail.
Elle ne comprenait pas. Pourquoi son miroir avait-il fonctionné la fois où elle avait pensé à l'intruseur ? Elle avait alors atterri dans le couloir et avait entendu la conversation entre Mme Dupont et l'ancien agent Stokes, qui complotaient contre l'agence. Qu'y avait-il eu alors de si spécial ? Cela faisait maintenant des semaines qu'elle se triturait les méninges, pour essayer de comprendre pourquoi elle n'arrivait plus à le refaire. Pourquoi cette fois-là ? Que faisait-elle de travers ? Puis elle comprit.
Peut-être faisait-elle trop d'efforts. Peut-être ses pouvoirs ne fonctionnaient-ils que lorsqu'elle était soumise au stress. Elle réalisa que lorsqu'elle avait pensé à l'intruseur, cette fois-là, l'image avait juste surgi dans sa tête. Elle n'avait pas forcé ses pensées à se concentrer. L'idée lui était venue naturellement.
Elle poussa un soupir et se détendit. Pas la peine de se tuer à la tâche. Lentement, elle leva à nouveau son MDF devant elle. Cette fois, elle laissa son esprit vagabonder et son corps se calmer. Elle s'apaisa et inclina légèrement son MDF pour que tout son visage s'y reflète. Elle resta aussi immobile que possible. D'abord, elle ne pensa à rien et se contenta de se concentrer sur sa respiration et les battements de son cœur. Et lentement, très lentement, elle laissa une pensée émerger dans son esprit. Elle ne savait pas pourquoi cette pensée venait d'apparaître − mais elle était là.
Elle sentit un picotement dans son dos. Puis tout son corps ondula. Son reflet changea, et elle vit son corps s'évanouir. Elle commença à tourner à toute vitesse. Des rugissements plein les oreilles, elle plissa les paupières pour distinguer quelque chose. Des images floues bougeaient devant ses yeux comme des lignes de couleur. Elle sentait des odeurs de pain chaud et de poulet frit. Après une dernière spirale, ses pieds rencontrèrent une surface solide, et sa vision s'éclaircit peu à peu. Elle se stabilisa et regarda autour d'elle −
Elle était debout dans un gros évier en inox.
« Zoey St John ! Mais bon sang, qu'est-ce que tu fais dans l'évier de ma cuisine ? »
Aria fondait sur elle, une grosse casserole dans une main, brandissant trois poings furieux. Elle s'arrêta devant Zoey.
« Et tes chaussures sont dégoûtantes ! Tu te crois où ? Dans un gymnase ? Ce n'est pas une cour de récréation ! Tu ne peux pas emmener toute cette crasse dans mon évier ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? »
Zoey sentit le sang quitter son visage. De tous les endroits de la Terre, il avait médusé d'Aria et se sentit vraiment stupide.
Manger était la pensée qui lui était venue à l'esprit.
« Désolée, Aria, je − je ne voulais pas monter dans ton évier. C'était une mauvaise idée. Je suis vraiment désolée. »
Aria regardait son visage empreint de culpabilité. « Comment es-tu arrivée ici ? Je ne t'ai même pas vue entrer dans la cuisine ! J'ai tourné le dos une minute pour prendre du gingembre pour ma fameuse soupe de goule épicée, et l'instant d'après − te voilà dans mon évier ! Comment l'expliques-tu ? »
Zoey resta un moment sans rien dire. « Euh... c'est − c'était une blague stupide. Je me suis dit que je pourrais me faufiler discrètement et te surprendre. » Elle eut un sourire forcé : « Surprise ! »
À en juger par le regard que lui lançait Aria, elle savait qu'elle n'en croyait pas un mot. La peau grise de la femme s'assombrit. Elle ressemblait à un grand requin blanc prêt à attaquer.
Zoey déglutit avec peine et haussa les épaules. « Finalement, l'évier, ce n'était pas une si bonne idée. Je vois bien que c'était une erreur. Je suis vraiment, vraiment désolée. »
Zoey détourna le regard des yeux jaunes félins d'Aria. Tout en maintenant d'une main son MDF dans son dos, elle descendit de l'évier en prenant garde de ne pas toucher le rebord avec ses chaussures sales. Elle avait suffisamment de soucis comme ça. Elle s'en voulait d'avoir menti à Aria, mais elle n'était toujours pas prête à parler à qui que ce soit des talents qu'elle s'était découverts − du moins pas avant de les maîtriser à fond. D'ailleurs, elle était toujours sous le choc de sa miroir-portation. Cette fois, elle avait fonctionné, bien qu'elle ne sache absolument pas comment.
« Pourquoi souris-tu ? demanda Aria, les bras croisés sur sa poitrine. Tu trouves que c'est drôle, c'est ça ? »
Zoey serra les lèvres. Elle ne s'était pas rendu compte qu'elle souriait. « Non. Je suis vraiment désolée, Aria. C'était une idée ridicule. Je te promets que je ne recommencerai plus. »
« Ça non, tu ne recommenceras jamais. » Aria passa en trombe près de Zoey pour se pencher sur son évier. « Je vais devoir le récurer maintenant. Tu as laissé des traces de pas vraiment dégoûtantes dans mon évier rutilant. »
Zoey glissa son MDF dans sa poche. Elle garda les yeux baissés, se sentant de plus en plus mal à chaque instant. Aria avait été gentille avec elle depuis son arrivée à la ruche, et elle ne voulait pas lui causer des ennuis.
« Je suis vraiment désolée », bredouilla Zoey. Ses yeux lui brûlaient.
Aria remarqua le malaise de Zoey et sa voix se radoucit. « Bon, ce n'est pas si grave. Ne prends pas cet air sinistre. Il y a des choses pires dans le monde qu'un évier sale. Il sera nettoyé en moins de deux. Mais ne recommence pas, d'accord ? Je ne comprends pas les jeunes d'aujourd'hui ; à mon époque, on ne jouait pas dans la cuisine de sa mère. On avait mieux à faire. »
Zoey sentit le sang revenir dans ses joues. « Je ne recommencerai plus. C'est promis. »
« Garde tes promesses pour toi, Zoey, fit Aria en souriant. Maintenant, ouste, avant que je ne change d'avis et que je te transforme en tourte à la viande. »
Le soulagement se répandit dans le corps de Zoey comme si elle avait plongé dans un bain chaud. « Tu es la meilleure, Aria ! »
Zoey se rua hors de la cuisine. Elle entendit Aria marmonner dans son dos : « Je ne comprends pas les jeunes de nos jours. »
La salle à manger et le salon de l'auberge étaient remplis à craquer de Septièmes et d'agents. Depuis que les intruseurs volés avaient libéré des foules de mystiques hostiles, l'auberge était tout le temps bondée. Chaque agent était sur le pied de guerre. Personne ne savait vraiment le nombre de mystiques clandestins qui avaient traversé, ni lesquels.
L'agent Vargas était debout près de la cheminée, une tasse de café à la main. Avec sa stature imposante, il se distinguait des autres. Il était en pleine conversation avec une femme à la longue chevelure soyeuse noir corbeau et à la peau laiteuse. Son visage était parfait. On aurait dit un mannequin dans une publicité pour les crèmes cosmétiques. La bague en rubis qui scintillait à son doigt était identique à celles qu'elle avait déjà vues aux doigts de certains apprentis. C'était le symbole des Originels.
Avant même d'apercevoir Stuart, elle comprit que cette femme était sa mère. Il était vautré dans un fauteuil en cuir près du feu, mais lorsqu'il vit Zoey il se raidit. Son regard noir croisa le sien lorsqu'elle passa à côté d'eux. La haine brillait dans ses yeux bleus glacials.
Zoey attrapa son manteau de laine grise et ses moufles rouges. Elle se retourna et adressa à Stuart son plus beau sourire, avant de sortir en riant.
La neige crissait sous ses bottes comme elle courait derrière l'auberge en direction de la lisière du bois. Elle avait l'impression qu'un poids avait été ôté de ses épaules. Elle avait enfin réussi à manipuler le miroir-port par la seule intervention de son esprit. Ça avait marché.
L'air froid rafraîchissait ses joues brûlantes. Il y avait un endroit qu'elle aimait par-dessus tout, à côté d'un gros rocher. C'était l'endroit où, quelques mois plus tôt, le gang des farfadets avait kidnappé un Stuart en larmes. Il était revenu quelques heures plus tard, le visage rougeaud et les sourcils froncés. Depuis, tous deux étaient des ennemis jurés − ce qui lui convenait très bien.
Elle se doutait qu'il mijotait une revanche, mais pour l'heure elle avait autre chose à penser que chercher à savoir ce que Stuart Leroy avait en tête.
Un mouvement attira son regard.
Une jolie fille aux longs cheveux bruns sortait en trombe de la ruche. C'était Claudia Walsh, le double de Stuart au féminin. Elle se figea en l'apercevant. Zoey s'attendait à une remarque cinglante ou à une grimace, mais à la place, son expression était troublée, presque effrayée. Elle lança un regard froid à Zoey en la voyant. Mais avant qu'elle ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, Claudia s'élança dans la direction opposée.
Le soleil réchauffait le visage de Zoey tandis qu'elle gravissait un talus au pas de course. Elle se laissa tomber sur ses genoux dans la neige. Jetant un regard circulaire pour s'assurer que personne ne se promenait à proximité, elle sortit son MDF de sa poche. Ses mains tremblaient d'excitation.
« Très bien, mon petit miroir. Reprenons. »
Son cœur cognait tant elle avait hâte d'essayer à nouveau. Elle poussa une profonde expiration, produisant un nuage de buée, et elle s'efforça de se détendre. Son reflet tressautait sur le miroir à cause de ses tremblements, et elle prit le temps de se calmer. Elle ne voulait pas avoir un accident de miroir-port, pas maintenant qu'elle venait de découvrir ce qu'elle pouvait faire avec ses pouvoirs. Mme Dupont était peut-être une illuminée au visage de chat, mais elle n'avait pas menti sur les dons spéciaux de Zoey.
Elle laissa ses muscles se détendre. Où pouvait-elle se miroir-porter à présent ? Dans le miroir, ses yeux verts et ses taches de rousseur attendaient. Elle sourit malgré elle. Elle ressemblait tellement à sa mère...
Une étincelle crépita à l'intérieur de son corps. Sa peau se mit à picoter comme si des millions de fourmis la parcouraient. Son MDF devint de plus en plus chaud jusqu'à ce que le cadre de métal soit aussi brûlant que s'il était chauffé à blanc. Zoey poussa un hurlement et lâcha son MDF. Il tomba sur le sol et se mit à grésiller en faisant fondre la neige tout autour, qui disparut dans un nuage de vapeur.
Zoey poussa un juron et examina sa main. Elle avait une vilaine marque rouge. Avant qu'elle ait eu le temps de songer à ce qui venait de se produire, elle se rendit compte qu'une silhouette encapuchonnée se tenait dans la neige juste à côté d'elle.

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