Chapitre 4

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Un message secret

Zoey se crispa. D'abord, elle crut qu'elle avait juste vu un reflet sur la neige. Elle cligna des yeux, mais la silhouette sombre était toujours là. Puis la lumière se fit dans son esprit. Elle reconnut la silhouette, c'était celle qu'elle avait aperçue dans le champ la veille.
Elle devait mesurer deux mètres quarante de hauteur et était drapée dans un épais tissu noir tout élimé, semblable à la cape d'un costume vénitien. Elle ne semblait pas avoir d'yeux, de nez ni de bouche sous sa capuche sombre. À l'endroit où son visage aurait dû se trouver, Zoey ne distinguait qu'une surface blanche et lisse. On aurait dit un masque. Elle aperçut des bottes en cuir noires pointues à travers un trou de la cape, des bottes de sorcière. La silhouette avait des mains blanches étonnamment fines et délicates, qui dépassaient de ses manches.
La créature qui se trouvait à côté d'elle était visiblement une femme. Étrangement, Zoey n'avait pas peur. Sans savoir pourquoi, elle était sûre qu'elle ne craignait rien.
« Qui êtes-vous ? » demanda Zoey.
La silhouette encapuchonnée ne répondit pas. Elle restait debout sans bouger. Sa cape se soulevait derrière elle sous la brise fraîche.
« Pourquoi me suivez-vous ? insista Zoey. Je vous ai vue. C'était vous, n'est-ce pas ? »
La silhouette passa sa main dans les replis de sa cape et en sortit un petit boîtier gris rectangulaire. Elle le tendit à Zoey. De toute évidence, elle le lui donnait.
Avec réticence, Zoey prit la petite boîte dans sa main. Elle passa les doigts sur son couvercle en inox, froid et lisse. Il était surmonté d'un unique bouton de la taille de son pouce.
Zoey regarda la créature et secoua la boîte métallique.
« Qu'est-ce que c'est ? » Comme elle ne répondait pas, elle posa à nouveau la question. « Qu'est-ce que c'est ? Vous ne parlez pas ? Non. Bon. Vous n'avez pas de bouche, alors j'imagine que non. »
Zoey observa le petit boîtier dans sa main. « Et maintenant vous voulez que j'appuie sur ce bouton, c'est bien ça ? »
La créature hocha la tête.
« Et bien, heureusement que la communication passe bien entre nous », fit Zoey. Quelque chose la tracassait. « C'était vous ? Avez-vous chauffé mon MDF juste à l'instant ? C'était vous ? »
La créature hocha à nouveau la tête.
« Je vous demanderais bien pourquoi et comment, mais j'imagine que je ne vais pas tarder à le découvrir. » Zoey poussa un profond soupir.
Elle tendit la main et s'assura que son MDF était redevenu froid avant de le ranger dans sa poche.
« Je ne peux pas croire que je vais vraiment le faire. Bon, qui ne tente rien n'a rien. » Elle appuya sur le bouton avec son pouce...
Un éclair de lumière blanche jaillit du boîtier en métal, à l'endroit où son pouce avait pressé le bouton. Il s'ouvrit en éventail, créant un écran blanc qui flottait en l'air comme une projection de cinéma. Et sur l'écran blanc, Zoey aperçut l'image d'une femme aux yeux verts éclatants et aux cheveux rouges flamboyants.
Zoey posa le boîtier et s'assit dans la neige. Elle avait des larmes plein les yeux.
« Bonjour, Zoey. » La femme sur l'écran lui souriait.
Elle portait un long pardessus noir de voyage, qui faisait ressortir davantage la rousseur de ses cheveux. Son visage était rouge et transpirant, comme si elle venait de courir. Sa voix était rauque, elle semblait dans l'urgence. Ce n'était pas du tout la douce voix apaisante que s'était imaginée Zoey.
« L'orphelinat a choisi un joli prénom pour toi ; je l'aime bien. »
La silhouette marqua une pause, et reprit : « Je ne sais pas si tu me reconnais, mais je suis ta mère. »
Le monde vacillait autour de Zoey. Elle avait l'impression de rêver. Elle eut de la peine à prendre la parole.
« M − maman ? C'est vraiment toi ? Je − je ne peux pas le croire. Est-ce que c'est bien réel ? Je te cherche depuis si longtemps. »
Mais la femme ne semblait pas l'entendre.
« Je sais que tu dois avoir tant de questions à me poser. Pourquoi je t'ai abandonnée ? »
Les yeux de sa mère étaient inondés de larmes, la tristesse la submergeait. Son sourire disparut, et elle poursuivit.
« Je l'ai fait la mort dans l'âme. Tu dois savoir que c'était la décision la plus difficile de ma vie. C'est toujours douloureux. Je me souviens de tes pleurs lorsque je t'ai déposée sur le seuil. Mais je me rassure en me disant que c'était le bon choix. C'était le seul que j'avais. »
Les larmes roulaient abondamment sur les joues de Zoey, tandis qu'elle regardait, abasourdie, la femme qui se tenait devant elle. Ses lèvres tremblaient. Elle avait envie de se jeter dans les bras de sa mère, et pourtant elle était incapable de bouger.
« Maman... maman... »
La projection de sa mère vacilla et elle se retourna brusquement, comme si elle avait entendu quelque chose derrière elle. Un instant plus tard, elle revint vers elle, une expression de terreur sur le visage.
« Maman, qu'est-ce qui se passe ? » Zoey leva la tête et regarda derrière sa mère, mais il n'y avait qu'une barrière d'arbres et de la neige.
« Je n'ai pas beaucoup de temps. Ils arrivent. » Elle regarda vers Zoey, sans fixer directement son visage, comme si elle était incapable de se concentrer sur son emplacement exact. C'était presque comme si elle ne la voyait pas vraiment.
« J'espère qu'un jour, tu trouveras dans ton cœur la force de me pardonner. Je voulais juste te protéger, te garder à l'abri, et l'orphelinat était l'endroit le plus sûr. Je savais que tu y serais en sécurité. »
Zoey regardait attentivement sa mère. « Tu veux dire, à l'abri des Alphas ? De Mme Dupont ? Maman ? Tu m'entends ? Comment ça marche, ce truc ? C'est à sens unique ou quoi ? »
Une fois de plus, sa mère ne semblait pas l'entendre. Sa forme vacillait comme une ampoule qui baissait en intensité, avant de redevenir nette.
« Tu te demandes probablement ce que c'est, dit sa mère en baissant les yeux pour se regarder. Comment je peux me tenir comme ça devant toi − comment c'est possible, après toutes ces années. Comme tu le vois, je ne suis pas vraiment là ; je ne suis qu'une ombre de moi-même − un enregistrement. »
Zoey se releva avec difficulté. « Tu es une espèce d'hologramme, c'est ça ? »
Zoey se rendit compte qu'en réalité cette silhouette n'était pas vraiment sa mère. Elle ressentit une douleur dans sa poitrine, et elle dut cligner des yeux pour chasser ses larmes. Rassemblant son courage, elle s'avança. Lorsqu'elle se retrouva face à sa mère, elle tendit la main. Ses doigts passèrent à travers la silhouette de sa mère comme si ce n'était qu'un fantôme.
L'hologramme regarda à nouveau à travers Zoey. « À l'heure qu'il est, tu as rencontré ma très chère amie, Muttab. »
Zoey tourna la tête et dévisagea la silhouette encapuchonnée à l'expression impassible.
« C'est une Minitienne, poursuivit sa mère. On dit aussi que c'est une sorcière. Les Minitiens sont des créatures timides, et muettes. Elles passent la majeure partie de leur temps à étudier leur art. C'est mon amie et mon alliée depuis de nombreuses années, et c'est l'une des rares en qui je peux avoir confiance. Je lui ai demandé de te donner cet enregistrement quand elle sentirait que ce serait le bon moment − quand ta vie courrait un grand danger. »
« Ma vie est en danger ? »
Zoey sentit un poids s'appesantir sur ses épaules. Elle regarda Muttab, mais sans visage, elle n'avait aucune idée de ce que pouvait bien penser la créature. Elle se détourna et posa sur sa mère un regard pétrifié. Elle voulait en savoir plus.
Sa mère s'arrêta de parler et jeta un nouveau coup d'œil par-dessus son épaule, comme si elle avait entendu du bruit. Elle se retourna et continua.
« J'aurais aimé que les choses se passent différemment pour nous, pour toi. J'aurais aimé pouvoir te donner une véritable enfance, une vraie famille, mais c'était impossible. Ton père a changé. Il m'a trahie. Ce n'est plus l'homme dont je suis tombée amoureuse. Mais cela n'a plus d'importance maintenant ; il ne sait pas que tu existes. Il a rejoint les autres, à présent. Il est dangereux, Zoey ; tu ne peux pas lui faire confiance. »
Comment pourrais-je lui faire confiance ? se dit Zoey. Je ne sais même pas qui c'est −
« Cet enregistrement est le seul moyen dont je dispose pour te contacter sans risquer de t'exposer aux mauvaises personnes », reprit sa mère.
« Si tu regardes cet enregistrement, alors j'imagine que Muttab a estimé que c'était le bon moment, et que tu sais désormais que tu es différente du reste des Septièmes. Seules deux Septièmes dans le monde peuvent manipuler le M-Port et les ancres − toi et moi. Mais tes capacités dépassent de loin les miennes. Je ne pourrais jamais faire ce que tu peux faire. Quand tu n'étais encore qu'un bébé, j'ai remarqué comment les portails ondulaient, sous l'effet de ta seule présence. J'ai alors compris le terrible danger que cela engendrerait. »
Elle marqua une pause et prit une inspiration tremblante.
« Tu es une cible parce que tu es différente. Maintenant, tu as sûrement découvert l'agence, ou l'agence t'a enfin découverte. Quoi qu'il en soit, je ne peux pas faire semblant de m'en réjouir, parce que ce n'est pas le cas. Si les Septièmes te connaissent, alors les Alphas aussi. Et d'ici peu, les autres te découvriront aussi. Avec un peu de chance, ils ne savent pas encore qui tu es. »
Sa mère jeta un coup d'œil inquiet derrière elle et baissa la voix.
« Ils m'ont trouvée, je n'ai pas beaucoup de temps. » Elle semblait très pressée.
« Qui t'a trouvé ? Bon sang, j'ai horreur de ça ! J'aimerais que tu puisses m'entendre », fulminait Zoey.
Les yeux émeraude de sa mère scintillaient de larmes.
« Zoey, écoute-moi bien attentivement. Tu dois quitter l'agence tout de suite. Tu n'es pas en sécurité ici. »
La mâchoire de Zoey s'ouvrit en grand.
« Mais − mais c'est le seul endroit où je me sens en sécurité ! Pourquoi faudrait-il que je parte ? C'est la première fois que je me sens chez moi quelque part. Je sais que tu ne peux pas m'entendre, et que je bafouille toute seule comme une andouille − mais tu n'as pas idée de ce que j'ai traversé − vivre de foyer d'accueil en foyer d'accueil, sans savoir d'où je venais, comme une marginale. J'aime vivre ici, je ne veux pas partir − »
« Je sais que ça doit te paraître insensé, mais il y a des agents doubles à l'agence. »
« Ouais, je sais, comme l'agent Stokes. »
Sa mère essuya ses larmes du revers de la main.
« Tu ne peux faire confiance à personne, même si tu as l'impression que ce sont tes amis − ce n'est pas vrai. Ils chercheront à se servir de toi, et ils te tueront. Tu dois faire ce que je te dis. Quitte l'agence ! Cache-toi parmi les Inactifs. Tu es bien plus à l'abri là-bas. C'est ta seule chance. Tu dois partir ! »
Zoey secoua la tête comme un enfant têtu. « Non. Je ne partirai pas. Pourquoi quelqu'un à l'agence voudrait-il ma mort ? Je n'ai rien fait ! »
La voix de sa mère monta dans les aigus avant de se briser. « Quitte l'agence, Zoey ! Tu dois partir tout de suite ! »
Un grognement interrompit la projection. Son sang se glaça. Une ombre apparut derrière sa mère, une bête énorme.
Sa mère tituba et bredouilla de peur. « Va-t'en, Zoey ! »
« Attends ! Qu'est-ce que c'est ? Maman ! Attends ! Je ne sais pas où tu es ! Je veux t'aider ! Maman ! » Zoey jeta les bras en avant dans une tentative désespérée d'attraper sa mère, mais ils se refermèrent sur le vide.
Sa mère tomba à genoux.
« Cours Zoey ! Éloigne-toi de l'agence, pars aussi loin que possible ! Tu dois te cacher ! Il faut que tu m'écoutes ! »
Les yeux verts de sa mère étaient écarquillés par la peur. Son image commença à s'effacer. « Je t'aime. »
La forme sombre se dressa derrière sa mère, et la projection se mit à onduler comme un brouillard traversé par le vent. Sa mère hurla, et l'image s'évanouit.
« Maman ! » s'écria Zoey.
Elle bondit à l'endroit où l'image de sa mère se trouvait encore quelques instants plus tôt. Elle tourna désespérément sur elle-même.
« Maman, reviens ! Je ne sais pas comment te retrouver. S'il te plaît, reviens ! Dis-moi où tu es ! »
Mais en vain. La seule mère à laquelle elle ait jamais parlé venait de disparaître. Ses genoux se dérobèrent et une profonde tristesse l'envahit. Elle fouilla dans la neige pour retrouver l'appareil émetteur.
« Muttab ? Où est l'enregistrement ? Muttab ? » Mais la Minitienne avait disparu, elle aussi.
Les yeux de Zoey étaient en feu. Elle resta assise dans la neige, abandonnée de tous.
Elle entendit un souffle derrière elle.
Claudia s'était cachée derrière un arbre. Elle était debout, à moitié dissimulée, et regarda Zoey pendant un moment. Zoey vit un petit sourire triomphant sur le visage de Claudia, avant qu'elle ne tourne les talons et s'en aille en courant vers la ruche.

MYSTIQUES : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant