Les ouragans-outangs
Une brise chaude venait caresser le visage de Zoey St John, et les champs de blé secs et dorés qui s'étendaient devant ses yeux se balançaient comme de grandes vagues ambrées sur une mer agitée. Une odeur de terre fraîche et de pain tout juste sorti du four flottait dans l'air.
À l'extérieur de la ruche, à Toronto, le vent était violent et glacial. Douze centimètres d'une neige éclatante recouvraient le sol lorsqu'ils étaient partis. La chaleur soudaine l'avait assaillie dès qu'elle avait posé le pied hors de son miroir-port dans les vastes champs qui entouraient San Antonio. C'était la première semaine du mois de janvier, et la deuxième année du programme d'apprentissage qu'elle avait intégré. Zoey avait sauté de joie lorsque l'agent Ward et l'agent Vargas l'avaient fait passer en classe supérieure.
On attendait des apprentis de deuxième année qu'ils soient maintenant capables d'affronter des mystiques plus dangereux et plus hostiles. Ils participaient à d'intenses séances d'entraînement au combat et étaient envoyés en mission sur le terrain toutes les semaines. Ainsi, lorsque l'agent Vargas lui avait annoncé que l'agent Barnes et l'agent Lee avaient demandé à ce qu'elle les accompagne sur une mission de terrain, elle avait relevé le défi avec enthousiasme.
Elle portait toujours son épaisse veste en laine et avait l'impression qu'elle venait d'entrer dans un sauna tout habillée. Elle ouvrit la fermeture éclair de sa veste pour laisser l'air la rafraîchir.
« Alors... qu'est-ce qu'on attend au juste ? » Elle passa le doigt sur le boomerang doré attaché à son poignet gauche par un bracelet en or. Lorsqu'elle se retourna pour regarder l'agent Barnes, elle vit qu'il souriait.
« Tu verras. » L'agent Barnes échangea un regard entendu avec l'agent Lee, comme s'ils partageaient une information secrète qu'elle ne connaissait pas.
L'agent Barnes laissa tomber un grand sac à dos noir sur le sol, dans un bruit de ferraille et de casseroles métalliques qui s'entrechoquent.
Zoey essuya la sueur qui lui coulait dans les yeux et scruta les champs qui ondulaient devant elle. Pendant un bref instant, elle crut apercevoir une forme humaine. Mais lorsque, aveuglée par le soleil, elle plissa les paupières, l'ombre avait disparu.
« Je ne comprends pas, dit-elle. Nous sommes au milieu d'un grand champ, entourés sur des kilomètres à la ronde par du blé, et rien d'autre. On va manger des céréales, ou quoi ? »
Une brusque bourrasque de vent gonfla sa veste, soulevant sa chevelure rousse dans son dos. Un gros nuage gris masqua le soleil. L'ombre les protégea aussitôt des rayons brûlants. « Patience, petite rouquine », fit l'agent Barnes en éclatant de rire.
Il fit glisser sa veste en cuir de ses épaules et la laissa tomber sur le sol. Il lui lança un sourire taquin.
« Prépare-toi. Ils arrivent. »
Zoey suivit son regard.
« Mais qui arrive ? Je ne vois rien ni personne ! Est-ce que c'est un test ? Vous voulez savoir à quel point je suis crédule ? Je ne suis pas ici depuis très longtemps. C'est vous qui m'avez trouvée, vous vous souvenez ? Et pourquoi souriez-vous ? Je ne vois aucun − »
Ses mots moururent dans sa gorge.
À l'autre bout de l'océan de blé, un gigantesque entonnoir sombre venait de sortir du nuage gris menaçant. Il descendait en spirale, et la pointe du vortex fouettait le sol d'avant en arrière comme une énorme queue. Le tonnerre éclata violemment, et le vent s'intensifia. Des débris vinrent gifler le visage de Zoey. La tornade arrivait dans leur direction à une vitesse incroyable, détruisant tout sur son passage comme un aspirateur géant. Des nuages de blé et de poussière se soulevaient sur son sillage. Les vents féroces rugissaient comme des millions d'animaux en même temps.
La colonne se désintégra et, pendant un instant, Zoey crut que c'était terminé. Mais quelques secondes plus tard, elle se reforma et reprit sa progression. Zoey en avait la chair de poule sur les bras. Comme elle se rapprochait, elle se rendit compte que ce n'était pas une tornade ordinaire.
Ce n'était pas du vent. C'était des milliers de petites créatures grises à fourrure, à demi transparentes, qui volaient en cercle. En se déplaçant, leurs corps formaient un gigantesque entonnoir mystique. Elles avaient des yeux rouges globuleux et des gueules anormalement grandes, garnies de dents acérées comme des couteaux. On aurait dit un croisement entre des loups et des singes, avec leurs oreilles pointues, leurs larges torses et leurs membres dégingandés. Leurs bouches ouvertes broyaient et engloutissaient sur leur passage les grosses pierres, la terre, les camions, une cabane démolie et, au grand dégoût de Zoey, quelques vaches inattentives. Elles dévoraient tout ce qui avait le malheur de se trouver sur leur chemin. Son sang se glaça lorsqu'elle remarqua le plaisir et l'amusement qui brillaient dans leurs yeux − elles se régalaient de tuer et de détruire tout ce qu'elles croisaient.
Le sol tremblait au fur et à mesure que la tornade mystique se rapprochait en tourbillonnant. Puis ses narines perçurent comme un mélange écœurant de chien mouillé, de viande pourrie et de mouffette. L'odeur était si fétide que ses yeux lui piquèrent.
Zoey restait bouche bée. « Bon sang, mais qu'est-ce que c'est ? »
« Des ouragans-outangs, répondit l'agent Barnes. De sales petites vermines.
Cela dit, ça fait des années que le menu n'a pas été aussi copieux. »
« J'aurais préféré un menu Big Mac au McDo, je vous l'avoue. » Zoey cligna des yeux pour déloger la poussière et essaya de respirer par la bouche. Elle fut prise d'une quinte de toux et inhala par inadvertance une autre bouffée de cette délicieuse eau de Cologne.
L'agent Barnes semblait ravi, il poussa un « Oooh ! » d'émerveillement.
« Leur seul but est de semer la destruction, expliqua-t-il. Ils en ont besoin... ils en crèvent d'envie... ils vivent pour ça. Ils prennent plaisir à tuer et à ravager. Ils mangent tout, vraiment tout. Une colonne d'ouragans-outangs de cette taille peut balayer tout un village en quelques minutes et laisser derrière elle un champ de ruines. »
Zoey chassa de son esprit les images des vaches qui tournoyaient et laissa la colère prendre le pas sur la pitié qu'elle éprouvait pour ces pauvres bêtes.
« Alors, dit-elle tout en plissant les paupières pour éviter la poussière et les débris, les tornades sont vraiment composées de milliers d'ouragans-outangs ? »
« Exactement », répondit l'agent Lee. Son imperméable noir flottait derrière lui, ballotté par les vents cinglants, comme la cape d'un super-héros. Zoey pouvait voir son regard rayonner derrière ses lunettes de soleil.
Mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez eux ? De toute évidence, ils s'amusaient beaucoup.
« Enfin, la plupart du temps », reprit l'agent Lee.
Il se tourna vers l'agent Barnes. « Ces vents sont en train de ruiner ma coiffure.
« Je propose qu'on extermine ces minables et qu'on se tire d'ici avant que mes cheveux ressemblent à une permanente des années 80. »
Zoey fronça les sourcils. Elle n'avait aucune idée de ce dont il parlait.
La tornade de mystiques rugissait comme des milliers d'ours en colère lâchés dans la nature.
« Bon, et comment on l'arrête − on les arrête, je veux dire ? Ce truc est gigantesque », fit Zoey.
La tornade était toute proche. Sa veste claquait, ses cheveux fouettaient son visage et elle se sentait attirée par le vortex.
L'agent Barnes se mouilla le doigt et le brandit en l'air, comme pour estimer la direction du vent.
« La clé, ici, c'est de les disperser et de les pousser à se séparer. Un seul ouragan-outang est assez facile à maîtriser, mais ils ne restent presque jamais seuls. Ils sont attirés les uns vers les autres comme des aimants. Et plus ils se regroupent, plus ils deviennent puissants et dangereux. Nous devons arrêter ces méchants garnements avant que tout le coin soit dévasté. »
« Et comment les sépare-t-on ? » Zoey cracha la poussière qui s'était infiltrée dans sa bouche et saisit son boomerang. Mais elle savait que ce serait inutile. Il se ferait probablement avaler, et elle ne le reverrait jamais. La perspective n'était pas très réjouissante. Elle préféra laisser son précieux boomerang à l'abri autour de son poignet.
« Les tornades d'ouragans-outangs dépendent d'une combinaison complexe de forces interconnectées », répondit l'agent Barnes.
« La stratégie basique contre les ouragans-outangs est de prendre le plus petit de ces facteurs, le plus susceptible de changer, et de le faire changer. C'est comme glisser une clé à molette dans un engrenage en espérant que bloquer l'une des roues dentées entraîne la démolition de tout le système. »
Zoey luttait contre les vents qui cherchaient à l'aspirer. « Alors si nous les perturbons, ils ne seront plus capables d'avancer. C'est comme mettre un bâton dans une roue ? »
« Tout à fait, cria l'agent Barnes pour couvrir le bruit des bourrasques. Ils seront un peu désorientés, et ils se demanderont ce qui leur arrive. Puis ils se sépareront, ils tomberont et ils formeront un tapis de poussière. »
« Ce qui nous laissera quelques minutes pour nous en débarrasser avant qu'ils ne se regroupent à nouveau, précisa l'agent Barnes. Et d'après moi, on ferait mieux de s'y mettre maintenant. »
Il fouilla dans son sac et en sortit un ustensile, que Zoey aurait décrit comme un aspirateur portable sans fil. Il en lança un à l'agent Lee, qui le brandit comme un pistolet en le braquant sur les ouragans-outangs rugissants. Il produisit des bruits de détonation avec sa bouche tout en faisant semblant de tirer.
« On s'en débarrasse avec ça. » L'agent Barnes lui tendit un aspirateur portable rose sans fil.
Zoey prit l'objet et referma les doigts autour de la poignée de plastique. Elle avait raison. C'était bien un aspirateur portable. Il ne pesait pas plus lourd qu'une casserole. Sur son étiquette on pouvait lire :

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MYSTIQUES : Tome 2
ParanormaleTOME 2 : La nation alpha. Après avoir passé l'été à tenter d'empêcher une invasion catastrophique de mystiques clandestins, Zoey St John entame sa deuxième année dans le programme des apprentis, à l'agence. Mais la situation ne va pas rester tranqui...