6× Nouvelle Aube

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Les premiers rayons du jour pénétrèrent la pièce à travers les épais volets qui nous dissimulaient du monde extérieur. J'émergeai progressivement malgré une tentative vaine de maintenir les paupières closes. Quelques instants plus tard, je réalisai qu'un souffle chaud et régulier s'échouait continuellement sur mon épaule. Alors que je me trouvais allongé sur le dos, je tournai lentement la tête dans la direction d'Erian et entrouvris les yeux. Je découvris son visage tout près du mien. Son expression détendue et étonnement innocente me fascina. Je me surpris alors à l'observer en détail. Ses paupières closes, sa bouche entrouverte, ses mèches de cheveux noirs qui lui retombaient dans les yeux...

Je finis par réaliser peu après que quelque chose était posée sur mon torse nu depuis mon réveil. À en deviner les formes qui se dessinaient sous les couvertures, je venais de surprendre la main d'Erian. Étonné par sa soudaine proximité avec moi, je le détaillai à nouveau ; ce dernier était parfaitement endormi, à croire que rien ne pourrait troubler son précieux sommeil. Je soupirai discrètement de fatigue, on dirait que le taciturne aimait prendre ses aises pour pioncer. Je refermai les yeux pour tenter de me rendormir, de peur de réveiller mon nouvel allié et d'être ainsi confronté à une situation gênante. Encore un peu dans les vapes, je ne pensai pas une seule seconde aux événements de cette nuit. J'avais oublié tout ce qui nous liait, jusqu'à pourquoi je partageais mon lit avec un autre homme. Je n'avais pas la tête à réfléchir, j'étais encore terriblement épuisé.

Une vingtaine de minutes plus tard, après avoir un peu cogité entre deux songes et m'être posé un peu plus de questions qu'initialement, j'entendis quelqu'un frapper à la porte. Cette dernière s'ouvrit peu après que j'eus entrouvris les paupières. Merinya apparut dans l'embrasure. Elle nous observa Erian et moi, puis je croisai son regard. La rouquine étouffa un ricanement et déclara malicieusement :

- Je vois que je vous dérange.

Sans me laisser le temps d'en placer une, celle-ci referma la porte. Je fronçai les sourcils d'incompréhension, que signifiait une telle attitude ? Et puis quelles étaient ces sous-entendus ? Qu'avait-elle cru au juste ?
Je sentis soudain le brun s'agiter, celui-ci releva la tête dans un adorable grognement qui ne laissait en rien présager son sale caractère. Toujours à quelques centimètres l'un de l'autre, nous nous fixâmes calmement. Erian tenta finalement de se relever en prenant appuie sur ses mains. À ce moment là, ce dernier se rendit enfin compte qu'il s'était quelque peu installé sur moi et retira de suite sa paume de mon torse. J'en profitai pour glisser un commentaire ironique d'une voix pâteuse :

- Je vois que tu aimes bien t'étaler sur les autres pour dormir.

Je crus que le concerné n'allait pas répondre au vu du laps de temps qui eut le loisir de s'écouler ; mais c'était sans oublier qu'il s'agissait d'Erian. Son ton moqueur eut le plaisir de ce délier lorsque son utilisateur trouva enfin quelque chose à répliquer :

- C'est vrai que ton corps est tellement attirant, je n'ai pas pu m'en empêcher !

Je n'ajoutai rien de plus et m'assis sur le bord du lit pour reprendre totalement mes esprits. Je me levai ensuite, pris mon haut posé par terre et l'enfilai.

- Je vais voir comment va Erik.

Sur ces mots, je quittai la pièce et descendis lentement les escaliers au rythme du bois qui grinçaient sous mes pieds. J'entrai dans le salon mais personne n'y séjournait ; cependant, des voix s'élevaient depuis la cuisine. Je m'y dirigeai alors et pus y voir le couple discuter, le blessé de cette nuit paraissait aujourd'hui en pleine forme. Ils me saluèrent et je fis de même.

- La potion de vie a l'air d'avoir été très efficace, commentai-je.

- Tu as raison, je me sens bien mieux.

- Que croyez-vous ? Je ne suis pas une sorcière de bas étage ! se venta la rousse avec fierté.

- C'est vrai mon amour, affirma amoureusement Erik en l'attirant vers lui pour l'embrasser.

Je souris à cette vision, ils étaient vraiment mignons tous les deux.

- Pitié, vous ne voulez pas aller vous bécoter ailleurs ? grommela un nouvel arrivant mal léché.

- Je te rappelle que nous sommes chez nous, Erian.

Ce dernier ne semblait pas très bien réveillé, il était probablement ce genre de personne qui haïssait la compagnie de bon matin. Le jeune homme aux cheveux noirs s'assit nerveusement au tour de la table, pour ainsi mieux pouvoir comater. Je l'imitai et pris timidement une chaise, n'osant rien toucher de plus de peur de déranger.

- Servez-vous, nous invita Erik en prenant une bouchée de pain.

J'obéis et piochai un morceau que je tartinai de miel. Finalement, j'interrogeai le chasseur à propos d'une question qui me taraudait l'esprit depuis hier :

- As-tu pu apercevoir d'autres loups-garous que le boulanger ?

- Non, je n'en ai vu aucun. Même après avoir tiré, aucun loup n'est venu en aide au premier.

- Je vois...

À vrai dire, je trouvais la situation étrange. Quand nous nous étions démenés pour ramener Erik vivant dans cette chaumière, aucune de ces créatures nocturnes n'avaient tenté de nous attaquer. Pourtant, porter un corps ne nous avait pas rendus discrets, bien au contraire. De plus, notre mobilité réduite ne pouvait qu'avoir affaibli nos défenses, alors pourquoi diable n'avions-nous vu aucun autre loup-garou ? Nous avions été en plein cœur du village tout de même ! Avions-nous eu simplement de la chance ? Ou alors, peut-être avaient-ils eu peur de nous pour une raison qui me dépassait ? Non, impossible, comment une poignée d'humains faibles et désarmés aurait-elle pu lutter contre une meute de loups affamés ? 

Lorsque nous eûmes terminé le repas, Erian et moi repartîmes chez nous, chacun de notre côté. Cependant, je ne restai pas longtemps dans ma demeure. Je l'avais quitté aussitôt pour aller à l'endroit où tout s'était déroulé cette nuit, endroit où le cadavre du loup reposait toujours.
Quand j'arrivai sur les lieux du crime, je pus voir une quinzaine de villageois attroupés autour du boulanger qui, bien sûr, n'était pas redevenu humain ; ainsi qu'autour du chasseur qui éclairaient à présent leurs lanternes sur les derniers événements. J'approchai et entendis une partie de son glorieux récit, dont il omit naturellement de mentionner notre alliance secrète au risque d'entendre crier au complot.
À la vue de mon arrivée, certains me fixèrent en confiant quelques messes-basses à leurs proches. Mal à l'aise à l'idée que l'on pût murmurer sur moi, je demeurai silencieux. Je remarquai alors qu'Erian était déjà arrivé lui aussi. Adossé à un mur à l'écart, il observait la scène, impassible. Finalement, un villageois finit par affirmer à mon égard face à toute l'assemblée :

- Sorën avait raison, monsieur Jehan était bel et bien un loup-garou !

Cette fois, tous m'observèrent et Merinya, au côté d'Erik, voulut profiter de l'occasion pour me revaloriser aux yeux du public en ajoutant à son tour :

- Nous n'aurions jamais dû douter de lui, il a déjà su nous prouver à maintes reprises qu'il était des nôtres et que ses conclusions étaient les bonnes !

- C'est vrai, il n'a fait qu'une seule erreur après tout ! enchaîna un villageois.

Les autres approuvèrent et s'excusèrent de ne pas m'avoir cru. Rassuré d'être remonté à ma place perdue, j'affirmai à voix haute :

- Je vous remercie de la confiance que vous m'accordez, je ne vous décevrai plus. Je vous le promets, je trouverai et éradiquerai chaque loup de ce village !

À ces paroles, les quelques personnes présentes m'acclamèrent, percevant enfin l'espoir d'une aube nouvelle. Je souris, heureux d'avoir retrouvé le soutien des habitants et de leur avoir redonné du baume au cœur. Désormais, je n'avais plus le droit de mourir, tous comptait sur moi.

 

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À la Merci des Loups [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant