C'était un miracle.L'accusé se débattait, larmoyant, alors qu'il grimpait vers le bûcher. Il suppliait désespérément la foule déchaînée de l'épargner, en vain. Elle jubilait bien trop d'y enchaîner une victime, victime que j'avais moi-même désigné ; car oui, cette nuit avait été fructueuse. Nous étions enfin parvenus à y voir le visage d'un loup-garou. J'avais couru quelques risque pour y parvenir, rapidement suivis de mes compagnons. Mais finalement, nos longues tentatives n'avaient pas été vaines, nous avions fini par en récolter les fruits.
Ainsi en ce bon matin, j'avais pointé mon coupable et le village m'avait cru sur parole. Pourtant rien ne portait à croire en la culpabilité de l'accusé du jour. Personne ne le soupçonnait il ne s'était jamais trahi jusque là. Seulement son excès de confiance en situation nocturne avait causé sa perte.
– Adler Roucave, vous êtes condamné pour lycanthropie et crime contre le village, proclama le maire.
Les feux de joie s'allumèrent sous les injures du garçon qui y reposait. À présent désespéré par la situation, il ne se privait plus pour cracher sa haine au monde entier. Alors que des flammes vertes avaient jailli pour prouver la culpabilité de sa victime, des râles de douleurs ne tardèrent pas à déchirer l'assemblée exaltée. Pour ma part, je n'avais jamais vraiment aimé ces réjouissances. Ces jeux cruels qu'adulaient mes congénères. Je fis volte-face puis quelques pas, bien décidé à m'en aller. J'avais eu la confirmation qu'il était bel et bien coupable, je n'en demandais pas plus. Je n'avais pas besoin de me nourrir de sa douleur. Sa voix tonitruante s'égosilla soudain dans mon dos, bravant les flammes pour laisser éclater sa colère tant qu'il le pouvait encore :
– Tu me le payeras Sorën ! Allez brûler en Enfer toi et tes amis, Er... !
Je me crispai puis me tournai à nouveau dans sa direction. Il s'était stoppé pour hurler, incapable d'articuler un mot de plus. Il venait de révéler aux autres loups et au village tout entier que je n'avais pas été le seul responsable de sa perte. Peut-être serait-ce trop subtile pour beaucoup qu'ils ne le relèveraient même pas, mais pour moi ces dires résonnèrent en écho. Heureusement, il n'était pas parvenu à révéler leurs identités à temps. Alors qu'il poussait ses derniers cris d'agonie, Adler ne me lâcha pas du regard, et à vrai dire, moi non plus. Je ne le quittai pas des yeux. J'étais hypnotisé par cette vision déchirante, comme épris d'une fascination malsaine qui m'enserrait le cœur de ses ronces. Contre toutes attentes, il parvint tout de même à clamer de dernières paroles :
– Assassin...
Il ne lâcha plus aucun son après cela. Sa position macabre n'avait jamais cessé de m'accuser tandis que ses prunelles vides me fixaient toujours. Le procès avait pris fin. Je quittai les lieux, parcouru de frissons. La place se vidait elle aussi. Mes pas m'emmenèrent ainsi vers les champs d'un mouvement automatique, vide d'emprise. Mon cœur battait à tout rompre, perturbé par ces paroles dont je tentai de faire abstraction.
Je rejoignis Roger. Aujourd'hui j'étais chargé de surveiller le troupeau de moutons pendant que lui se chargerait de les tondre. Facile donc. Je m'assis sur un gros rocher et m'assurai qu'aucun ne s'éloignait trop. Mais la plupart s'écartait simplement du fermier, qui rasait déjà l'un d'eux, par peur d'y passer à leur tour. Hormis lorsque le fermier changeait de cible, ce qui créait des remous, les bêtes broutaient paisiblement. Je n'avais pas grand chose à faire, elles étaient plutôt dociles. À défaut de me sentir utile, j'eus au moins l'occasion de me reposer un peu. Malheureusement, je ne cessais de ressasser l'exécution de ce matin encore et encore. Je n'arrivais pas à me sortir le regard accusateur d'Adler de la tête. Il me hantait inlassablement.
La journée s'écoula comme cela jusqu'en fin d'après-midi, jusqu'à ce que des bruissements d'herbe se démarquent derrière moi. Ils s'avançaient à un rythme calme et régulier qui m'indiquait la venue de quelqu'un. Les moutons s'effrayèrent dans des bêlements incontrôlés et s'éloignèrent tous d'un même mouvement coordonné. Je me tournai vers l'origine de ce phénomène et y vis un visage que je ne pensais pas voir là.
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À la Merci des Loups [BxB]
WerewolfDu jour au lendemain, le village fut envahi par les Loups-garous. Des mangeurs d'hommes, aux traits humains le jour, que les habitants tentaient d'éradiquer par des votes matinaux dont le désigné était jugé coupable et brûlé au bûcher. Puis je suis...