2

26 2 0
                                    


Au petit matin, brusquement il ouvrit les yeux, et se redressa sur son séant, attentif aux voix inconnues qui lui parvenaient de l'extérieur.

Il se leva d'un bond, et s'avança vers la fenêtre, silencieusement. Prenant garde à ne pas toucher le rideau, il chercha un point de vue pour observer l'agitation qui régnait dans le jardin de la maison d'à côté.

La main de Steve gigotait sur sa jambe. Il était nerveux, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Il ne prit pas son traditionnel petit déjeuner ce matin-là. Il ne s'installa pas non plus devant son ordinateur : il resta plusieurs heures, sans bouger, impassible, semblant réfléchir.

Ce n'est que vers cinq heures de l'après-midi, lorsque le camion de déménagement fut totalement vidé, et que les nouveaux voisins eurent refermé la porte d'entrée, qu'il se laissa enfin tomber sur une chaise à proximité.

De nouveaux venus... Cela faisait plusieurs mois que la maison était inhabitée. Il avait espéré qu'elle puisse demeurer inoccupée. Il avait même envisagé de la racheter, mais quelles folles rumeurs cet acte aurait-il suscitées dans le quartier ? Il ne serait parvenu qu'à exciter encore plus la curiosité des gens du coin. Or cela, il voulait l'éviter à tout prix.

Alors ? Que faire ? Malheureusement, pas grand-chose... Et puis, il hésitait à la prévenir. Mais il ne voulait pas l'inquiéter ! Et de toute façon, à quoi bon ?

Dès cinq heures du matin, il reprit son poste d'observation. Cette affaire l'avait littéralement tenu éveillé, toute la nuit. Et à ressasser cette situation, il avait songé à une solution. Il ne s'agissait pas d'une contre-attaque, ni même d'une riposte. C'était plutôt un palliatif.

Seulement, ce plan nécessitait qu'il agisse lui-même, ce qui attirerait immanquablement l'attention des autres voisins, à moins qu'il ne se fasse discret.

Premièrement, il fallait attendre que les maisons alentours se vident : que ces messieurs soient partis travailler, et que les mères au foyer aient pris le chemin de l'école.

Ensuite, il ne devait rien faire qui sortit de l'ordinaire. Il fallait se fondre dans la masse de voisins attentifs et accueillants qui ne manqueraient pas de se presser à la porte des nouveaux. La méthode : la même que tout le monde, mais pas en même temps qu'eux : toute la nuance était là !

Il passa toute la matinée, et l'heure du déjeuner à épier les faits et gestes des récents arrivants.

À trois heures précises, Steve changea de fenêtre. Il dirigea son regard vers les autres maisons, et attendit que chacune d'entre elles se soit vidée. Puis il descendit les escaliers, attrapa le plat de gratin de poulet que Julianne lui avait apporté, et sortit, l'œil aux aguets, et le pas vif. Il avait peu de temps avant le retour des femmes et de leurs progénitures.

Il sonna à la porte de la demeure voisine, et attendit.

— Bonjour, claironna-t-il du ton le plus aimable qu'il put prendre dès que le battant se fut ouvert.

— Bonjour, répondit la femme d'une quarantaine d'années.

— Je suis votre voisin, expliqua-t-il en désignant sa maison, derrière lui. Je voulais vous souhaiter la bienvenue avec un petit gratin de poulet, une de mes fameuses recettes, lâcha-t-il avec une pointe d'orgueil particulièrement bien feinte.

— C'est très gentil à vous, hésita son interlocutrice.

C'est naturel, entre voisins, répéta-t-il en se rappelant les mots que l'ancienne occupante de cette maison avait employés pour l'accueillir lui, vingt ans plus tôt.

— Je suis désolée de ne pouvoir vous faire entrer...

— Non, bien sûr, je ne voulais pas vous mettre de pression ! la coupa-t-il. Sachez simplement que je suis très habile de mes mains, si vous avez besoin d'une personne pour de menus chantiers.

— Oh, je ne crois pas que ce sera nécessaire, répondit-elle, mon mari est entrepreneur.

— Je vois, murmura-t-il, avant de reprendre :

— L'avantage de cette bâtisse, c'est que tout est propre... Il n'y a pas de travaux à effectuer.

— En fait, nous avons quatre enfants. La maison est trop petite : nous allons devoir aménager l'étage, pour créer une chambre à nos deux grands.

Steve resta stoïque, autant que possible. Mais il était ébranlé, alors il prit congé, rapidement, mais poliment :

— Eh bien, je vais vous laisser poursuivre votre emménagement, en vous souhaitant bon courage, et à bientôt !

— Merci encore pour le gratin, conclut-elle tandis qu'il avait déjà tourné les talons.

Il la salua d'un signe de la main, sans même la regarder, déjà trop occupé à admirer ce quartier, ses pelouses verdoyantes, ses arbres touffus, ses maisons cossues... Tout ce qu'il avait apprécié dans cet endroit, il voulait les emporter avec lui, car il le savait maintenant : tout ceci serait bientôt derrière lui.

La maison d'à côté (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant