7

17 3 0
                                    


Lorsque le lieutenant revint, il tenait une boîte dans ses mains. Il avait trouvé les documents que l'ex-flic avait si soigneusement dissimulés. Pour autant, Tom Finnigan ne souriait pas. L'air triomphant qu'il arborait quelques heures plus tôt avait disparu sous un masque de gravité qui ne lui était pas habituel.

— Lieutenant ! Venez ! Vite ! s'écria Matt en le voyant.

Finnigan lui emboîta le pas. Mais Matt ne marchait pas, il courait dans les couloirs du poste. Tom pria pour qu'il ne soit pas arrivé malheur...

Mais dans la salle, rien n'avait bougé : Steve était toujours assis, menotté, le Docteur Anderson à côté de lui.

Le lieutenant s'installa, et posa la boîte sur la table, délicatement.

— À voir votre tête, je sais que vous l'avez ouverte, affirma l'écrivain.

Le lieutenant acquiesça.

Le Docteur Anderson ne semblait pas au courant. Elle avança la main vers la caissette, mais de concert, Finnigan et Steve l'empêchèrent de s'en saisir. Julianne les regarda, tour à tour. Pourquoi ne voulaient-ils pas qu'elle ouvre cette boîte ? Mais lorsque ses yeux croisèrent ceux de Steve, elle sut. Elle retira bien vite sa main, comme si cette caissette contenait le Mal incarné. Et c'était vrai.

Finnigan avait décrypté ce qui s'était passé cette nuit-là, ou presque : Ted Mac Donald violait Sandy Simon depuis plusieurs mois. L'adolescente avait-elle tué Ted et Soan elle-même, ou Steve l'avait-il fait ? C'était le point que le lieutenant devait encore éclaircir.

— Je les ai assassinés, annonça Steve, calmement.

Finnigan poussa un soupir de soulagement. Il n'aurait pas à inculper Julianne Anderson, alias Sandy Simon.

— Il ment, intervint Julianne. C'est moi qui les ai tués. Mon beau-père me violait tous les jours ou presque, et Soan regardait. Bien sûr, lui aussi aurait voulu me prendre, mais Ted n'était pas d'accord, car je n'étais pas une fille comme les autres. Il disait ne pas faire cela par plaisir, que c'était pour enseigner à Soan comment être un mâle, comment un vrai homme possédait une femme. Je n'étais qu'un cobaye, et je devais me sacrifier pour le bien de la famille. Alors oui, je les ai assassinés après qu'il ait abusé de moi une fois de plus, un soir où ils avaient bu, un jour où je savais que je pourrais prendre le dessus.

— Comment avez-vous fait ?

— Mais voyons lieutenant, vous ne pouvez pas la croire ! intervint soudain Steve. Vous êtes conscient qu'une gamine de quinze ans n'aurait jamais pu terrasser deux hommes aussi costauds que Ted et Soan, même ivres ?

— Peut-être qu'elle les a tués et que c'est vous qui les avez emmurés ? proposa Finnigan.

— Non, Steve n'était pas présent ce soir-là. Il n'est arrivé que le lendemain, expliqua Julianne.

— Oui, confirma Steve, c'est le lendemain que je les ai tués. J'étais venu pour les interroger après avoir vu Bradigan. Quand je suis arrivé, j'ai trouvé Sandy. Une gamine de quinze ans ! J'ai perdu les pédales. Ted et Soan dormaient dans leurs lits. J'ai pris un couteau de cuisine, et je leur ai enfoncé le crâne avec. Ils ne se sont même pas réveillés. Ensuite, je les ai mis dans le mur. Les briques étaient là, à terre. Il m'a suffi de faire un peu de béton, et de sceller l'ensemble.

Finnigan acquiesça, visiblement convaincu par cette version.

— C'est faux, intervint Julianne. Lorsqu'il est arrivé le lendemain, ils étaient déjà morts, je venais de les emmurer. Ça n'a rien de très difficile. Je les ai regardés jour après jour préparer leur béton : du sable, du gravier, de l'eau, du ciment...

— Et comment les avez-vous transportés jusqu'au mur ? demanda Tom.

— Ils dormaient dans le grenier tous les deux, chacun d'un côté de ce mur. C'était là qu'ils affichaient la carte de leur périple, avec les femmes qu'ils avaient tuées, et les trophées qu'ils rapportaient.

— Vous le saviez ? questionna Finigan, horrifié.

— Bien sûr ! Pourquoi pensez-vous que je rentrais tous les soirs ? J'étais consciente de ce que Ted allait me faire ? Mais si j'avais tenté de m'enfuir ou de les dénoncer, ils m'auraient assassiné moi aussi. Il leur aurait suffi de faire croire que j'avais été victime du même meurtrier. Leur méthode était bien rodée : Soan se cachait dans la soute, et la nuit, il choisissait une fille. Ted la piégeait, Soan la violait, et ils la tuaient tous les deux.

— Et vous Steve ? Quel aurait été votre mobile ? C'est un peu facile le : "j'ai perdu les pédales".

— Vous auriez pu être à ma place Finnigan, commença l'écrivain. Alors vous, qu'auriez-vous fait ?Vous auriez laissé le sort de ces deux bouchers entre les mains d'un tribunal ? Et la jeune Sandy ? Vous l'auriez livrée à la presse ? Comment aurait-elle pu avoir une vie après cela ? J'ai considéré qu'elle avait suffisamment payé pour les déviances de ces deux hommes. C'était mon choix. Je ne l'ai pas consultée.

— Vous savez Robins vous avez raison sur un point.

Steve le regarda, attendant la suite.

Lorsque le lieutenant répondit, il le fit si bas, que Matt crut que les micros étaient soudain HS. Il tapota l'enceinte qui diffusait le son dans la pièce secrète, mais il n'entendit pas ce qui suivit.

— C'est moi qui aurais dû prendre ce cas, j'ai vérifié, expliqua Finnigan. Mais mon chef a préféré ne pas se risquer sur une affaire aussi glissante. Alors, qu'aurais-je fait à votre place ? Je l'ignore. En tout cas, vous, vous devez prendre un avocat, chacun. Choisissez les deux meilleurs du pays, et maintenez vos versions. Si je ne peux prouver l'une de ces deux thèses, je ne pourrai vous déférer au juge, et en l'absence d'accusé, il ne peut y avoir de procès.

Puis, le lieutenant se leva, calant la boîte sous son bras. Lorsque Matt voulut attraper la caissette, le lieutenant s'indigna :

— C'est mon déjeuner !

Puis, il s'enferma dans son bureau. Il ouvrit la caissette, et y jeta une allumette. La flambée prit immédiatement, consumant toutes les photos qui s'y trouvaient : les corps nus, les clichés des trente-deux jeunes femmes, la détresse et la douleur de Sandy... Il ne resta plus rien.

Suivant à la lettre les conseils du lieutenant, Steve et Julianne furent rapidement relâchés pour absence de preuves concluantes.

Enfin libérés de cette maison qui les retenait tous les deux depuis si longtemps, ils choisirent de quitter le pays : Julianne s'envola pour l'Europe et s'installa à Rome, près du Vatican. Steve choisit l'Afrique, ses paysages, ses couleurs et ses traditions, pour oublier le noir qu'il avait tant raconté dans ses romans, et ouvrir une nouvelle page de sa vie, pleine de soleil.

La maison d'à côté (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant