Lorsque Steve ouvrit la porte, deux hommes en civils le saluèrent poliment. Il les reconnut tout de suite. Non pas qu'il les ait déjà vus, mais il connaissait suffisamment bien les flics et leurs méthodes pour savoir qui ils étaient.
— Lieutenant Tom Finnigan, dit le plus âgé des deux en présentant sa plaque.
— Détective Matt Rogers, poursuivit le plus jeune en imitant son aîné.
— Steve Robins ? demanda ce dernier, sans plus prêter attention à son collègue.
Steve hocha de la tête, et prit la direction de la cuisine, les deux hommes sur ses talons. Le jeunot en fit le tour. Puis, il passa dans la salle, et parcourut le salon. Ses pas résonnaient dans la maison, si bien que les deux hommes restés assis mesuraient sa progression sans difficulté.
Steve n'aimait pas ce blanc-bec qui se croyait tout permis parce qu'il avait une plaque ! Il lui rappelait un autre jeune policier qu'il avait très bien connu... Il reporta son regard sur le lieutenant.
Ce dernier ne l'avait pas quitté des yeux. Tom Finnigan l'observait. Les deux hommes se confrontèrent un moment. Mais Steve savait qu'il devait faire profil bas ; c'est donc lui qui baissa la tête, laissant l'autre le dévisager, sans vergogne.
Le lieutenant passa en revue le front haut, les cheveux trop longs en bataille, le nez fin et légèrement recourbé, les lèvres qui se pincèrent convulsivement à plusieurs reprises alors que Matt revenait, tranquillement. Steve portait un regard glacial, sans complaisance, sur le jeune détective.
Tom Finnigan ne pouvait lui en vouloir. Quel petit con ce Matt ! Malheureusement, lui, le lieutenant à quelques mois de la retraite n'avait pas le choix ! Son chef lui avait ordonné d'apprendre les ficelles du métier à ce gamin à peine sorti de l'école, car il avait du flair l'animal, de l'instinct comme on dit dans la police. Mais, couplé à ses allures de dandy, un comportement de détenu de longue peine, et un parler digne des pires banlieues, le mélange était étrange et déstabilisant, aussi bien pour ses collègues, que pour les suspects. Il risquait de saborder sa carrière avant même de l'avoir réellement commencée !
Et le démarrage de cet interrogatoire ne fit pas exception :
— Les gars qui sont venus vous questionner m'avaient prévenu qu'y avaient rien dans votre baraque. Mais à ce point-là ! Même pas de télé... Vous faites quoi toute la journée ? Vous apprenez à votre main gauche ce que la droite sait déjà faire ?
Le regard de Steve se fit plus froid encore, si c'était possible. Il se redressa comme pour se lever...
Le lieutenant Finnigan s'interposa physiquement entre les deux hommes. Steve comprit le message et tenta de prendre sur lui. Il respira profondément avant de reporter son attention sur Tom.
— Monsieur Robins, êtes-vous au courant de ce qu'il y avait dans le mur, à l'étage, chez vos voisins ?
— Aucune idée, répondit-il sobrement.
— Des os. Un tas d'os.
Steve plaqua sur son visage un air étonné, mais sans en faire trop. Il savait parfaitement doser ses effets, et Finnigan aurait été en peine de déterminer si cette expression était sincère ou simulée.
— Des hommes : les anciens occupants de la maison.
— Dans un mur ? releva Steve.
— Oui. C'est original, artisanal même.
Le lieutenant reporta son attention sur ses notes, et reprit :
— C'est en mai 1998 que vous avez posé vos paquets ?
— Il me semble que c'est bien à cette date que j'ai emménagé, effectivement.
— Vous les avez connus vos voisins ? Ils ont dû vous faire un gratin ?
Steve releva parfaitement l'allusion, mais ne réagit pas.
— Non, pas que je me souvienne. Du moins, pas ceux-là.
— Et après votre arrivée ? Y a pas eu des barbecues dans le coin ? questionna Matt.
— Je suis quelqu'un de très solitaire. Je n'ai pratiquement aucun contact avec mes voisins, ni aujourd'hui ni à l'époque.
— Solitaire ? Dans un tel quartier ?
Finnigan semblait dubitatif.
— Combien de fois aviez-vous visité le quartier avant d'y emménager ? demanda le lieutenant.
— Trois ou quatre, répondit Steve.
— Vous cherchiez à vous installer par ici ?
— Pas nécessairement, mais j'ai eu le coup de cœur pour cette maison.
— Quels événements ont conduit vos pas précisément ici ?
— Le travail.
— Ah oui, marmonna-t-il en tournant les pages de son dossier : vous êtes écrivain ?
— Un métier de menteur ça..., commenta Matt sans prévenir.
Steve se leva d'un bond, les narines frémissantes, les poings serrés...
— Matt, va jouer sur le trottoir, lança Finnigan.
Évidemment, le détective ne quitta pas la pièce, mais il était si vexé qu'il n'ouvrit plus la bouche.
— Vous écriviez un livre sur ce quartier ? reprit Finnigan. Ce sont des livres policiers, n'est-ce pas ?
— C'est exact, j'écris des romans policiers.
— Il est vrai que votre intérieur est curieusement pauvret, monsieur Robins ? Vous avez déjà été publié ?
— Tous mes romans le sont. J'attache peu d'importance à l'aspect matériel de ce monde.
— Je vois. Donc, anti-relationnel, antimatériel. Quoi d'autre ?
— Caractériel.
— Et culturel.
Matt boudait toujours, mais il ne pouvait s'empêcher de regarder le match entre les deux hommes, avec stupeur, tandis que Steve approuvait l'ajout de ce qualificatif le concernant.
— Même pas de télé ? insista Finnigan.
— Je n'ai besoin que d'une chose pour être heureux lieutenant...
Steve laissa sa phrase en suspens. Mais les yeux de Tom Finnigan ne le lâchaient pas.
— ... un ordinateur, acheva-t-il.
— Oui, évidemment ! concéda-t-il en tapant son front du plat de la main. Auteur, ordinateur... c'est logique... et ça rime ! conclut-il en rigolant.
Puis il reprit rapidement son sérieux :
— Pourrais-je le voir, cet ordinateur ?
— Avez-vous un mandat lieutenant ?
— Je croyais que vous acceptiez de coopérer avec nous...
— C'est le cas, le coupa Steve, dans la limite de ce que la loi vous autorise.
Finnigan releva la tête, toisant son hôte.
— Bien, dans ce cas, nous n'allons pas vous déranger plus longtemps. Rogers ? appela-t-il, on décolle.
Matt n'adressa même pas à un regard à Steve, et les deux hommes quittèrent les lieux.
![](https://img.wattpad.com/cover/151759978-288-kceb658.jpg)
VOUS LISEZ
La maison d'à côté (terminé)
Mystery / ThrillerCette nouvelle est une des lauréates du concours Polar de la Boutique des Auteurs 2018, organisé par Cultura, en partenariat avec Guillaume Musso, sur le thème "de nouveaux voisins". Steve vit dans un tranquille quartier américain depuis une vingtai...