Steve savait que les deux policiers reviendraient, avec des billes cette fois-ci.
Il lui fallut patienter deux semaines, mais comme il s'y attendait, le deuxième round eut bien lieu.
Lorsque Finnigan et Rogers pénétrèrent dans la cuisine, ils découvrirent Steve, et une jolie blonde aux yeux noisette. Matt, avec toute la finesse qui était la sienne, en bavait presque.
— Mademoiselle ? interrogea-t-il en effectuant une ample courbette.
— Docteur, corrigea la jeune femme. Docteur Julianne Anderson. J'allais partir, ajouta-t-elle. Elle prit son sac, posé négligemment sur le plan de travail, et quitta la pièce.
Les trois hommes restèrent silencieux un moment.
Les choses sérieuses allaient commencer.
— Lieutenant Robins, démarra Finnigan, vous nous aviez caché la carrière que vous exerciez à l'époque.
— Je n'ai rien dissimulé, répondit Steve du tac au tac. Vous n'avez simplement pas posé la bonne question.
— Bien sûr. Idem lorsque j'ai cherché à savoir si vous connaissiez vos voisins ?
Steve ne prit pas la peine de répondre.
— Dans ce cas, je vais reformuler, prévint Tom Finnigan. Aviez-vous rencontré les personnes qui habitaient au 9 Baker Street ?
— Oui lieutenant. Je les avais interrogées dans le cadre d'une enquête sur des viols et meurtres de femmes.
— À combien de reprises les avez-vous cuisinées ?
— Une seule.
— Quelles preuves aviez-vous rassemblées contre eux ?
— Aucun élément direct. J'avais simplement une parfaite concordance entre les trajets effectués par des bus de la compagnie par laquelle Ted Mac Donald était employé, et les endroits où les cadavres des jeunes femmes avaient été retrouvés. Ted Mac Donald était pratiquement toujours le chauffeur, à quelques exceptions près. D'autre part, compte tenu des traces trouvées sur les corps, nous savions qu'ils étaient au moins deux. Je pensais donc que Ted Mac Donald et son collègue, Jo Bradigan, travaillaient de concert.
— Mais vous avez compris que ce n'était pas possible lorsque vous avez interrogé Jo Bradigan.
— Effectivement. Il avait un solide alibi pour les meurtres de Sarah Matthews, Jessica Zylbertein et Teresa Pedro...
— Vous vous souvenez de leurs noms ? questionna Finnigan, semblant très étonné.
— Quand on travaille sur des affaires aussi horribles, cela vous marque, lieutenant. Je suis heureux pour vous que vous n'en ayez jamais connu de semblables.
Finnigan acquiesça, et poursuivit :
— Donc vous vous rendez chez Ted le 3 mars 1998 pour la première fois ?
— C'est exact.
— Racontez-moi.
— Ted Mac Donald avait une cinquantaine d'années. Il était le père de Soan. Il s'était marié avec Mary Simon en 1992. Mais la pauvre femme était décédée d'un cancer en 1995, le laissant s'occuper de sa fille, la petite Sandy, qui avait douze ans à l'époque. Lorsque je suis venu la première fois, il était cinq heures du soir. Ted était sale, il puait l'alcool. Je l'ai interrogé sur les voyages qu'il faisait en bus, le temps qu'il passait loin de la maison. Puis, je l'ai questionné sur les gens qu'ils fréquentaient dans le quartier, leurs amis... J'ai introduit le nom de Jo Bradigan dans la conversation, mais il n'a pas réagi. Je n'avais rien. Alors je suis allé voir Bradigan.
— Et il vous a parlé de son deuxième job ?
— Oui. Il était le monsieur météo de la chaîne locale. Il se faisait fréquemment remplacer par Ted lorsqu'il devait être à l'antenne. J'ai vérifié ses feuilles de pointages chez BCC : il était dans leurs bâtiments aux jours et heures présumés de neuf des quinze meurtres. Ça le mettait définitivement hors de cause.
— Par contre, vous étiez certain de la culpabilité de Ted ?
— Oui, j'ai demandé un mandat. Nous avons débarqué avec une dizaine de collègues pour l'arrêter et fouiller la maison. Mais ils avaient disparu.
— Qu'avait donné l'enquête de voisinage ?
— Rien. Ils ne parlaient pas beaucoup avec leurs voisins.
— Vraiment ? Eux non plus ? releva Finnigan.
— Serait-ce un penchant de criminel ? ne put retenir Matt.
Steve le considéra l'œil mauvais, mais il garda son calme cette fois.
— Avez-vous tenté de retrouver le père et le fils ? Avez-vous fouillé la maison ?
— Bien sûr, sauf que nous n'avons pas fait sonder les murs ni le jardin. Tous leurs effets personnels avaient disparu. Nous avons pensé qu'ils avaient fui. Leurs portraits ont été diffusés auprès de la police de l'état.
— Et la fillette ?
— La petite ? Elle aussi avait disparu. Les avis de recherche portaient sur Ted, Soan, et Sandy.
— Quel âge avait-elle ?
— Une quinzaine d'années à ce moment-là.
— Et aujourd'hui, alors que seuls les corps de Ted et Soan ont été retrouvés dans la maison, quelles conclusions tirez-vous de cette affaire ?
— Qu'ils n'ont pas disparu ? proposa Steve, d'un air innocent.
— T'es un super flic toi ! lança encore Matt.
Cette fois, Finnigan lui intima de se taire, craignant sans doute que la situation finisse par lui échapper :
— La gamine aurait pu les tuer ?
Steve n'eut pas besoin de réfléchir :
— Jamais ! Elle était tellement frêle ! Alors que les deux étaient des malabars ! Elle n'aurait pas eu la force de les tuer, et encore moins de cacher les corps. Surtout de cette façon. Vous croyiez qu'elle aurait fait de la maçonnerie avant de s'enfuir ?
— Elle aurait pu les tuer, et demander à un ami ou un voisin de l'aider à les dissimuler ?
— Et quel mobile aurait-elle eu d'après vous ?
— À vous de nous le dire ? C'est vous qui avez enquêté, qui vous êtes installé dans la maison d'à côté. Je sens que vous nous cachez des choses, monsieur Robins. Mais aujourd'hui, nous avons un mandat, ajouta-t-il avec un air satisfait, tout en sortant un papier de sa poche, qu'il tendit à Steve.
Puis, il fit un signe de tête à Matt. Ce dernier se leva d'un bond, puis fit pénétrer une dizaine d'agents en uniforme.
Steve savait que cette étape nécessiterait plusieurs heures. Il prit donc le temps de lire attentivement le document signé par le juge. Mais tout semblait en règle.
Finnigan resta dans la cuisine, à le regarder. Personne ne parlait dans la maison. Le silence était seulement troublé par des chocs sourds d'objets tombés ou des bruits retentissants de bris de verre. Bien d'autres sons résonnaient, qui laissaient présager le pire quant à l'intégrité physique du peu de biens que possédait Steve. Mais il n'en avait cure.
Il faisait nuit lorsque les agents revinrent dans la cuisine, fatigués et dépités. La seule chose qu'ils avaient trouvée était une clé, la clé d'un coffre, à en juger par sa taille.
— Où ce coffre est-il localisé ? demanda Finnigan à Steve.
— Je refuse de répondre à cette question en me fondant sur les droits que me confère le cinquième amendement.
Finnigan ouvrit de grands yeux ronds, et un large sourire fendit son visage. Il avait trouvé. Il détenait l'élément qui conduirait Steve à sa perte !
— Bien messieurs, nous levons le camp, avec monsieur Robins bien sûr, et son ordinateur, ajouta-t-il en lançant un clin d'œil à l'un des agents qui tenait le précieux matériel sous son bras.
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La maison d'à côté (terminé)
Misteri / ThrillerCette nouvelle est une des lauréates du concours Polar de la Boutique des Auteurs 2018, organisé par Cultura, en partenariat avec Guillaume Musso, sur le thème "de nouveaux voisins". Steve vit dans un tranquille quartier américain depuis une vingtai...