Le trajet vers le poste s'effectua dans le silence. Steve était dans une impasse maintenant : invoquer le cinquième amendement alors qu'il avait répondu à toutes les questions jusqu'alors équivalait à signer des aveux.
La police ne devait pas trouver ce coffre, sinon son existence serait fichue. Il avait tout sacrifié pour la protéger : sa vie d'homme, sa carrière, sa vie de citoyen même. Il s'était enfermé volontairement dans cette maison, n'en était pas sorti depuis vingt ans, tout ça pour qu'elle puisse vivre, elle. Pour qu'elle soit libre, qu'elle puisse faire ses propres choix, et oublier tout ça. Il ne pouvait céder maintenant.
On l'installa dans une salle, sous la surveillance de plusieurs caméras. On l'autorisa à passer un appel, mais il ne voulait pas d'avocat. Car si la police ne pouvait plus le malmener, elle chercherait d'autres personnes auxquelles s'en prendre, des gens auxquels il tenait. Or il n'y en avait qu'une.
Il ne devait pas répondre à leurs interrogations. Mais il devait les garder concentrés sur lui. Cet équilibre était précaire. Pourrait-il le maintenir indéfiniment ? Certes non. Et comment ferait-il alors ?
Le temps avançait. Lentement. Les secondes, les minutes, les heures...
Jusqu'à ce que la porte de la salle livre passage à Finnigan, un sourire définitivement triomphant aux lèvres.
— J'ai trouvé, dit-il à Steve. Je sais où se situe le coffre correspondant à cette clé.
— Dans ce cas, pourquoi ne l'avez-vous pas déjà ouvert ? Vous bluffez.
Deux petits coups vinrent interrompre leur conversation.
— Entrez, cria Finnigan, agacé par le dérangement.
Mais son ton se radoucit aussitôt :
— Docteur Anderson, s'étonna Tom. Quel plaisir de vous voir !
— Je suis particulièrement en colère lieutenant, commença-t-elle d'une voix autoritaire. Vous retenez mon patient dans des conditions de détention totalement inadmissibles !
— Quelles conditions Docteur ? Votre ami a de l'eau, il aurait pu demander à manger, et il avait même droit à un appel. Mais il n'en a pas voulu. Je ne suis pas responsable de cette situation...
Julianne regarda Steve d'un air sévère, mais celui-ci semblait encore plus courroucé.
— Que faites-vous ici Docteur ? marmonna-t-il entre ses dents.
— Bon, lâcha Tom Finnigan d'un ton léger, je dois aller ouvrir un certain coffre. Je vais donc vous laisser discuter tous les deux. Mais pas plus de dix minutes Docteur... C'est la règle, et il n'y aura pas d'exception.
Steve attendit que le lieutenant soit sorti, pour exploser... en murmures.
— Mais qu'est-ce que tu fais là Julianne ? Pourquoi es-tu venue ?
Julianne s'assit, et attrapa les mains de Steve dans les siennes. Elle ne l'écoutait pas. Elle repoussa délicatement les menottes qui lui enserraient les poignets, et massa doucement la ligne rouge qu'elles avaient tracée.
Au bout d'un moment, elle expliqua d'une voix si basse, que Steve à ses côtés éprouvait des difficultés pour l'entendre.
— Steve, nous n'avons jamais eu l'occasion d'en parler. Tu as fait tellement pour moi ! Tu m'as sauvé la vie cette nuit-là. J'ai pu choisir mon appartement, je l'ai meublé à mon goût, j'ai suivi des études de médecine, j'ai trouvé un travail... Si tu savais avec quel bonheur j'ai vécu tous ces moments, comme j'ai dévoré ces étapes, jouissant de la liberté que tu m'avais offerte. Mais maintenant, il faut que j'assume mes responsabilités. C'est pour moi que tu as fait tout ça, à cause de moi devrais-je dire. Si j'étais allée au bout de mon geste cette nuit-là, si j'avais eu le courage de me suicider...
— Ne dis pas ça ! voulut-il l'interrompre.
Mais elle posa ses doigts délicats sur les lèvres de Steve. C'était à elle de prendre les choses en main désormais. Elle était suffisamment grande pour le faire.
— Laisse-moi finir : si j'étais morte il y a vingt ans, tu n'aurais pas eu à renoncer à ce qui faisait ce que tu étais, ton métier, ta ville, ton existence. Tu ne serais pas le vieux garçon morne et triste, incapable d'échanger quelques mots avec quiconque. C'est moi qui t'ai fait ça, c'est moi qui ai volé ta vie. Je dois te la rendre.
— Et moi je refuse, tu le comprends ?
— Ce que toi, tu ne saisis pas, c'est que si tu es condamné, je perdrai le goût de vivre. Je ne pourrai pas continuer, en sachant que tu es en prison à ma place.
Ils ne se quittaient pas des yeux, tandis que des indiscrets les espionnaient de l'autre côté de la glace sans tain : Tom Finnigan, Matt Rogers, et tant d'autres.
Heureusement, Steve et Julianne parlaient si bas, que les micros des caméras ne pouvaient capter ce qu'ils se disaient. Lassé de ce film muet, Finnigan prit la direction de la banque.
Tom avait effectivement bluffé Steve en lui faisant croire qu'il connaissait l'établissement dans lequel se trouvait le coffre. En revanche, il était convaincu de pouvoir l'identifier très facilement. Car Steve avait probablement caché ces informations cruciales dans ce coffre, alors qu'il était encore policier. Or, si Finnigan avait du mal à percer la carapace de Steve aujourd'hui, il savait comment un flic pensait, n'importe lequel d'entre eux.
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La maison d'à côté (terminé)
Mystery / ThrillerCette nouvelle est une des lauréates du concours Polar de la Boutique des Auteurs 2018, organisé par Cultura, en partenariat avec Guillaume Musso, sur le thème "de nouveaux voisins". Steve vit dans un tranquille quartier américain depuis une vingtai...