Café Brulant

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Mon amie, qui s'attendait à des félicitations pour sa trouvaille, affiche un air perdu. La tête que je fais doit y être pour quelque chose.

— Elle qui ? Une des filles que tu as promis de rappeler sans jamais le faire ? tente-t-elle pour détendre l'atmosphère.

— J'aurais préféré...dis-je dans un soupir.

— Mag, tu m'inquiètes là. Qui est-ce ?

— C'est elle...tu sais...la fille de mon lycée...dis-je dans un murmure.

— Oh ! fait-elle en portant sa main à sa bouche. La fille qui t'a transformée en Casanova ?

— Tu dis n'importe quoi Cylia...

— Mag, c'est à moi que tu parles. Tu ne t'es jamais remise de ta rupture avec cette fille. Et voilà le résultat. Quoique, vu que vous n'avez jamais été ensemble, je me demande si on peut appeler ça une rupture.

— Quinn !

A l'entente de son nom, Cylia comprend qu'elle va un peu trop loin. Elle soupire puis prend mes mains dans les siennes.

— Je m'excuse. Maintenant, va la voir. dit-elle de but en blanc.

— Pardon ?

Elle m'annonce ça comme ça ? Sans transition ?

— Tu m'as bien entendue, vas la voir. De ce que tu m'as dit, tu ne pensais plus jamais la revoir. Là t'as une occasion en or. Je ne veux pas que tu la rates.

— Je ne crois pas que...

— Ta gueule, je ne veux rien entendre Mag ! Tu n'es plus la fille timide d'il y a sept ans, si ? Bouge ton cul et va m'allumer cette beauté.

C'est vrai, je suis une adulte maintenant. Une avocate à la grande gueule de surcroît.

Que ferais-je sans Cylia ?

— Si tu te prends un vent, t'inquiètes, je mettrais la clim en marche pour pas que tu le sentes trop. ajoute Cylia avec un clin d'œil.

Connasse !

Je lui fais un beau doigt d'honneur puis me lève de ma chaise. Pendant un instant, j'ai l'impression de rêver. Pouvoir la revoir, après toutes ces années. Cette fille qui a été la première à hanter mes rêves et qui continue de le faire. La seule personne à qui j'ai vraiment essayé de plaire. La seule hélas, à ne pas m'avoir remarquée. J'étais trop timide pour l'aborder à l'époque, mais ça, c'était avant...

Enfin, je suis près d'elle. Si on m'avait dit que je tremblerais à l'idée d'aborder une femme...

Je prends une inspiration, puis me racle la gorge. Elle lève la tête vers moi, surprise de mon action.

Les dés sont jetés.

Ses yeux croisent les miens, elle fronce les sourcils.

Putain, ses yeux sont toujours aussi envoûtants que dans mes souvenirs. Un mélange indescriptible de gris, bleu et vert...

— Oui ? me demande-t-elle après un instant.

Ah oui, j'étais censée lui parler...

— Abigail ?

— Oui ? On se connaît ?

Ouch, ça fait mal ça.

Je lâche un sourire nerveux.

Quand est-ce que je vais agir normalement en présence de cette fille ?

— Nous avons fait le lycée ensemble. C'est vrai qu'à l'époque, je ne portais pas de jupes, de lunettes et encore moins des talons hauts, mais c'est toujours moi, tu sais, ta voisine de toutes les classes du lycée. dis-je souriante, en insistant sur les derniers mots.

Elle semble réfléchir quelques instants, avant de secouer la tête de gauche à droite.

— Je crois que vous vous trompez de personne, je ne vous ai jamais vue auparavant.

Bien malgré moi, je fais un pas en arrière, comme repoussée par ses mots.

Ca fait mal, vraiment mal...

— Je...enfin, tu...le lycée...tu sais...fais-je d'une voix tremblante.

Même pas fichue de faire une phrase, tu parles d'une avocate !

Cette fois, même mon orgueil n'arrive pas à me sortir de cette honteuse situation.

Quelque chose s'est cassé à l'intérieur de mon être. Je le sens. Une fenêtre brisée en éclats par la voix grave de cette femme. Ma respiration s'accélère. Mes jambes vont avoir du mal à me maintenir debout dans peu de temps. Les doigts de ma main droite commencent à gigoter. C'est un tic nerveux dont je croyais pourtant m'être débarrassée en première année de droit.

Manquait plus que ça !

Je déteste quand mon corps ne m'écoute plus. Une impression de vulnérabilité m'envahît. Il faut que je bouge de là, seulement mon cerveau semble avoir été piraté.

— Magalie !

Je tourne vivement la tête vers cette voix salvatrice.

Oh Cylia, que je t'aime...

Quand mon regard croise celui de mon amie, je peux y voir de l'inquiétude. Elle a compris ce qui se passait. Je lui fais un sourire crispé. Elle y répond, puis me fait un signe de revenir vers elle.

Comme si j'allais m'éterniser ici...

— Chérie ? Qu'as-tu ?

Je fais volte-face à l'entente de cette voix masculine alors que je m'apprêtais à retourner auprès de Cylia.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Un grand blond, sortit de nulle part et vêtu d'un costard bleu un peu trop brillant, est debout près de la brune. Il essaye de lui faire relever le visage.

— Qu'est-ce que vous lui avez fait ? me crie-t-il.

— Moi ? Comment ça qu'est-ce que...

Elle pleure ?

Les mots disparaissent à nouveau de ma tête. La brune se lève subitement et sort du café. J'ai juste le temps de voir des traces de larmes sur son visage. L'inconnu quant à lui ramasse les affaires qu'elle a laissées puis, avant de se mettre à sa poursuite, m'adresse un regard digne d'un tueur mafieux.

Maman, j'ai peur...

Dans l'instant qui suit, je me retrouve seule. Plantée là, au milieu de tous les clients du Quinn Café qui se sont retournés pour me regarder.

Elle commence bien ma journée.

Un rire amer m'échappe quand je repense à la question du jeune homme.

La bonne interrogation n'est-elle pas plutôt : qu'est-ce qu'elle m'a fait ?

Souvenirs TruquésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant