Larmes chaudes

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— Toi !

Les regards étonnés d'Oréane et sa femme vont de la brune qui vient de crier à moi.

— Vous vous connaissez ? me demande Joëlle.

Impossible !

Un rictus mauvais se dessine sur mes lèvres alors que je regarde intensément Abigail, qui n'est peut-être pas Abigail...

— Magalie ? Magalie ? m'appelle Oréane.

— Scrudier, tu me dis ce qu'il se passe ? demande Joëlle à la brune.

Scrudier ! La fille en face de moi ne peut être que mon Abigail. Alors pourquoi agit-elle ainsi ? Est-elle vraiment amnésique ? Ou ne veut-elle tout simplement pas se rappeler de son passé, moi y compris ? Quoiqu'il en soit, je ne compte pas la forcer à se souvenir...

— Non, je ne la...

Encore ?

La même scène qui s'est produite au Quinn Café se répète : Abigail pleure.

Cette fois, c'est un rire nerveux qui m'échappe. Les dernières barrières qui me retenaient volent en éclats. J'avance vers Abigail tel un automate,

— Pourquoi pleurez-vous ? Non, pourquoi faites vous comme si vous ne m'aviez jamais vu ? dis-je assez sèchement.

Mes patronnes me regardent, ahuries. Je les ignore royalement. Seule m'importe la brune en face de moi. Son corps tremble à l'image de ma voix. Elle cache ses yeux derrière ses mains.

— Abigail Scrudier. Vous, non, tu ne peux pas m'avoir oubliée. Nous avons pris le même bus tous les matins pendant trois ans. Tu montais trois arrêts avant moi, tu t'asseyais toujours sur les deux derniers sièges au fond à droite. Tu ne t'installais jamais à la fenêtre, alors je m'asseyais chaque fois là quand je montais, à tes côtés. Aucune de nous ne parlait, mais j'étais tellement heureuse de pouvoir vivre ces moments avec toi, même si je me doutais que cela ne signifiait rien pour toi...

Mag arrête, ne l'oblige pas à se rappeler du passé contre son gré.

Cette petite voix intérieure, toujours là pour me soutenir...

— Nous étions voisines en classe, mais pas une seule fois tu ne m'as adressée la parole. En dehors bien sûr des salutations de politesse ou des interactions liées aux cours...En même temps, moi non plus je ne t'ai pas parlé...j'étais trop timide. Je t'admirais tellement. J'aimais tout chez toi, ton sourire, ta manie de tout le temps craquer ton index gauche ou encore celle de faire claquer des ongles contre la table avant le début des cours. J'adorais ton écriture qui était parfois marquée par les mouvements inhabituels que faisaient tes mains...Tu étais si spéciale à mes yeux...

Magalie, ne fais pas ça... Tu ne vois pas que tu lui fais mal ?

Et moi alors ? N'ai-je pas assez souffert de cette situation ? De cet amour à sens unique ? N'ai-je pas le droit de mettre les choses au clair une bonne fois pour toute afin de passer à autre chose ?

Tout comme Abigail, je commence à verser des larmes silencieuses. Elle ne cache plus ses yeux, mais me fuit du regard.

— Il m'a fallu trois longues années pour rassembler le courage nécessaire pour tout te déballer. Tu sais, je comptais le faire après le bac. Seulement, tu as disparu le jour de l'annonce des résultats. C'était comme si tu n'avais jamais existé. Tu n'as plus donné signe de vie. J'ai eu si mal...Toutes ces années, j'ai regretté de ne pas avoir agi plus tôt...Je n'ai jamais pu t'oublier...

Souvenirs TruquésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant