Rêve de Cassandre

4 - Sauve-moi !

On me pousse d'une bourrade dans le dos et je tombe en avant. La chute est rude et je m'érafle la paume des mains sur le béton du sol. La porte se referme avec un claquement métallique sonore.

J'ai peur !

Tout s'est passé si vite ! Je n'ai pas eu le temps de crier ou de me débattre... ni même eu le temps de réaliser ! Tout s'est passé si vite... je me souviens d'une main immense qui se plaque sur ma bouche et d'un bras qui me ceinture la taille pendant qu'un autre homme m'attrape les mains. On me soulève du sol comme si je ne pesais rien. Tout s'est passé si vite ! J'ai essayé de me défendre, j'ai vraiment essayé mais...

Pitié ! Aidez-moi !

Mon front me fait mal. Me suis-je cognée ? M'ont-ils frappée ? A quel moment ? Je ne m'en souviens plus. La tête me tourne tant que j'en ai la nausée. Mes souvenirs sont confus, comme brumeux ; et plus je tente de m'en rappeler, plus il semble qu'ils me fuient.

J'ai peur ! Pitié ! Laissez-moi partir !

J'ignore où je me trouve mais l'endroit me semble désaffecté. L'air empeste la moisissure. Un sous-sol ? La pièce où je suis enfermée est dépourvue de la moindre fenêtre. Je n'y vois guère mais entends un bruit d'eau à la régularité agaçante... Ploc ! Ploc ! Ploc ! Tel le goutte-à-goutte d'un robinet mal refermé. Je perçois également des sons plus inquiétants. Des pulsations sourdes et lancinantes qui s'arrêtent et reprennent à intervalles réguliers, des bruits de raclements ou de grincements. Je peine à en définir la nature. Un frisson glacé me remonte la colonne vertébrale et mon cœur s'affole dans ma poitrine. Personne ne sait que je me suis enfuie ! Personne ne se rendra compte de ma disparition avant des semaines ! Personne ne songera jamais à venir me chercher ici ! Je me traîne à tâtons dans le noir, butant plusieurs fois contre des obstacles que je ne parviens pas à identifier, et me recroqueville dans un coin de la pièce en reniflant. J'ai mal partout ! Mes côtes me font terriblement souffrir, mes bras doivent être couverts d'ecchymoses et mes genoux sont écorchés !

Laissez-moi rentrer chez moi ! Pitié...

Pourquoi n'ai-je pas pris ce vaisseau de transport ? Pourquoi ne suis-je pas allée rejoindre Alice comme je le lui avais promis ? Je me revois sur le pont d'embarquement du véhicule spatial qui doit m'emmener loin de Prioxus, dans le système stellaire voisin, sur Typhon. Je revois l'hôtesse me demander de tendre le poignet pour scanner ma puce et régler le trajet. Pourquoi ne le lui ai-je pas donné ? Pourquoi ai-je hésité ? Que m'a-t-il pris ? Je me revois faire demi-tour... Ah que ne donnerais-je pas pour revenir en arrière et faire un choix différent ! Pour revoir mes parents ! Mon père me manque, ma mère me manque... même Charles me manque ! Mais c'est impossible, je ne peux pas changer le passé et maintenant... maintenant... ! Je fonds en larmes.

Un bruit ! Je sursaute. Qu'est-ce que c'était ? On aurait dit un hurlement, un horrible hurlement de femme. Se pourrait-il que je ne sois pas la seule ? Le cri cesse aussi brusquement qu'il a commencé. Oh mon dieu ! Que lui ont-ils fait ? La pulsation que j'ai perçue plus tôt reprend. Je plaque mes mains sur mes oreilles pour ne plus l'entendre et me replis davantage sur moi-même.

Combien de temps resté-je ainsi prostrée ? Quelques minutes ? Une heure ? Plus ? Je l'ignore et n'ai aucun moyen de le savoir. Je redresse la tête en entendant un bruit de clé dans la serrure. La soudaine lumière en provenance du couloir me blesse les yeux lorsque la porte s'ouvre pour laisser le passage à l'un de mes ravisseurs. L'homme entre et s'avance dans ma direction d'un pas rapide. Il est immense et je me sens minuscule face à lui.

— Debout.

Je tente de me relever mais mes jambes se dérobent ; lourdes, si lourdes... refusant obstinément de m'obéir. Je ne peux que rester à le fixer, tétanisée et tremblante de pied en cap. Les traits serpentins de son visage blafard et ses yeux, d'un bleu si pâle qu'ils me paraissent inhumains, me glacent le sang. Je le reconnais. Je me souviens l'avoir croisé au spatio-port, peu après avoir débarqué.