5 - Insomnie

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Je me réveille en gueulant, les tripes en vrac, avec une boule dans l'estomac. J'ai la tremblote et mes dents font des claquettes. J'ai comme un goût de cendre dans la bouche, le goût de sa terreur sans doute. Même réveillé je la ressens encore. Je me précipite dans la douche et me passe la tête sous l'eau. Voilà qui devrait me remettre la caboche en place.

C'est quoi ce cauchemar ? J'y comprends rien ! Comment ça a pu se barrer en quenouille de cette manière ? Tout se passait pourtant bien ces dernières semaines ! Cassandre avait accepté l'invitation d'une amie de la fac à venir lui rendre visite. Et quitte à rester marteau, ça m'allait très bien à moi, comme programme ! Merde ! J'étais encore jamais allé sur Typhon ! En plus j'aime bien Alice. Mignonne, sympa, avec un humour décapant... Franchement ça me faisait plaisir de la revoir. Mais non ! Au lieu de ça, je me retrouve à vivre le remake d'un mauvais thriller ! Re-merde ! Est-ce que j'aurais avalé un truc pas frais au dîner ? Ça pourrait expliquer le mauvais trip, mais il me semble pas. Je fais quand même attention à ce que j'ingurgite.

Je me recouche en jetant à mon réveil un regard écœuré. Mauvais rêve ou pas, j'ai plus que trois heures de sommeil devant moi avant de rempiler à la mine. Mais comment je vais pouvoir me rendormir ? J'arrive pas à me vider la tête. Comment Cassandre a fait pour se retrouver dans ce merdier ?

Le temps défile et mon réveil sonne. C'est à peine si j'ai réussi à fermer l'œil. Je veux même pas me regarder dans la glace. Je suis à peu près sûr d'avoir sous les yeux des valoches qui touchent le sol. Déjà que j'ai l'impression que des joueurs de tambours font la bringue dans ma tête... Cassandre ne m'a vraiment laissé aucun répit. Dès que je fermais les châsses, dès que je me mettais à somnoler juste un peu, voilà que j'entendais à nouveau sa voix qui m'appelait et me suppliait ! Cassandre qui pleurnichait en me répétant encore et encore qu'elle était réelle ! Je grogne. Réelle, réelle... Ben voyons ! Pile ce que dirait une hallucination pour me convaincre que je suis pas timbré !

Malgré ça je me fais de la bile ; c'est plus fort que moi et c'est à se taper la tête contre le mur. Je déconne vraiment à plein tube. Je balise à mort, ouais, parce que Cassandre a raison : elle ressortira pas vivante de cette pièce. Ce type lui aurait jamais montré son visage s'il comptait tenir parole et la relâcher. Stop ! C'est pas une vraie personne ! Elle n'existe pas ! Pourtant je ne supporte pas qu'on lui fasse du mal. Ça me rend malade ! Pourquoi j'ai rêvé de ça ? C'est peut-être dingue, je suis peut-être complètement dingue, mais elle représente quand même le seul moyen que j'ai de m'évader d'Axilante ! C'est parce que j'envisage sérieusement de tourner la page et de me mettre en ménage avec une vraie femme ? Ça y est ? Le message est enfin remonté au cerveau ? C'est ça qui me pousse à rayer Cassandre de ma vie ? Sûrement, mais franchement... mon inconscient aurait pas pu trouver un moyen moins radical de régler le problème ? Je ne sais pas moi ! « Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants » ? Pourquoi faudrait à tout prix que je tue Cassandre pour retrouver une vie normale ?

Je quitte ma piaule pour aller au boulot. Connor, Connor... La voix de Cassandre, tenace, résonne encore à mes esgourdes et pour couronner le tout, Tak me saute sur le poil sitôt que j'arrive.

— Ben dis donc, t'as une sale gueule c'matin. Pire que d'hab', j'veux dire !

Trop c'est trop. J'explose.

— Ferme ton clapet, Tak ! T'as pas quelqu'un d'autre à faire chier ? Fous-moi la paix, décarre !

— Oh ça va dis ! Calmos ! J'déconnais, c'est tout ! C'est quoi ton problème ? T'as décidé d'être con aujourd'hui ?

Je ne prends pas la peine de lui répondre et poursuis mon chemin jusqu'à mon casier, enfile ma combinaison et embarque dans le monte-charge qui m'emmène dans les entrailles d'Axilante. Après la descente interminable, je débarque enfin à mon niveau. Il y fait plus noir que dans le cul d'une vache mais cette obscurité m'est familière. Ça fait longtemps que mes yeux se sont habitués à elle et je pourrais sans doute parcourir ces galeries en long, en large et en travers sans avoir à allumer ma lampe frontale. Enfin je suis quand même pas assez taré pour tenter l'expérience, pas encore en tout cas. Tak a dû passer le mot car aucun gars de l'équipe vient me taper la causette, ce qu'est pas plus mal, ça me fait des vacances. Je prends mon poste, endosse mon exosquelette et m'attèle à la tâche. Ramasser les blocs de minerai et les charger sur les chariots, emmener les chariots pleins à ras jusqu'au monte-charge, et recommencer. Concentré, je pense à rien d'autre et ça m'apaise. La journée passe sans que je m'en rende compte.

Rêve de CassandreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant