08 | JE ME SENS MAL POUR LES GENS NORMAUX

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NOLWENN ÉTAIT ALLONGÉE sur le parquet, les coudes plantés dans le bois, une cigarette au coin des lèvres, ses yeux gris rivés sur Maxine et Lou. Sagement assises, l'une sur le lit, l'autre sur le bureau, elles recouvraient toutes deux leurs copies grands carreaux de l'encre bleue de leurs stylos billes. No avait, elle aussi, un crayon à papier mal taillé, une gomme gribouillée de jeux de mots sans humour et une feuille vierge devant elle.

Mais elle n'avait aucune envie d'entamer le devoir donné par monsieur Garance; il était nettement plus amusant de regarder les autres travailler.

Leur professeur de français avait donné à toutes ses classes un exercice que beaucoup d'élèves jugeaient atrocement difficile. La consigne était très simple: écrire. 

"Écrivez vous" avait-il précisé avec un drôle de sourire. "En vers, en prose, en large et en travers." Sa demande semblait d'autant plus absurde qu'il avait précisé qu'elle ne serait pas notée. Nolwenn ne voyait donc aucun intêret à perdre du temps sur un devoir qui ne remonterait pas sa moyenne et qui ne risquait pas de tomber au bac.

Maxine laissa échapper un grognement et se mit à raturer furieusement sa copie double, qu'elle retourna ensuite d'un geste rageur. Lou, de son côté, feuilletait fébrilement l'exemplaire de Feuilles d'Herbes, de Walt Whitman, emprunté à David quelques heures plus tôt, en quête d'inspiration. No, elle, ricana en rejetant une nouvelle volute de fumée qui s'éparpilla rapidement dans la pièce.

-Vous avez vraiment une drôle de tête quand vous êtes sérieuses, commenta-t-elle en contemplant avec attention le bâtonnet bicolore, un sourire goguenard sur les lèvres.

-C'est ça, moque-toi, grinça Maxine en martelant du stylo sur le bureau.

Lou claqua la langue d'un air agacé et releva ses yeux clairs. Si le regard de Nolwenn évoquait un lac glacé ou un nuage de pluie, celui de la blonde semblait être une fenêtre ouverte sur un ciel d'été.

-No, t'as pas une autre chambre à aller squatter? soupira-t-elle. La tienne par exemple? Ça me fatigue de te voir traîner sur mon parquet.

La concernée répondit par un haussement d'épaule. Tout le monde savait que la chambre de Nolwenn était rarement occupée par sa propriétaire mais personne ne savait exactement pour quoi, la brune ayant toujours été en assez bon terme avec sa camarade, Iphigénie Deschamps -du moins en aussi bon terme qu'elle puisse être avec quelqu'un.

-C'est vrai ça, reprit Max. Tu veux pas travailler un peu, juste pour nous motiver?

No esquissa un rictus en levant un sourcil, grimace que la métisse appréciait particulièrement.

-Tu veux que je te motive à écrire trois pauvres rimes, c'est ça?

-T'as qu'à le faire si c'est si facile, ricana Lou, appliquée à enjoliver les lettres son prénom, griffonnée dans un coin de la feuille.

La brune lança un "pari tenu, j'ai fini dans deux minutes", coinça sa cigarette entre ses lèvres et saisit son crayon. Elle posa la mine sur sa feuille, sourcils froncés. Et se rendit très vite compte que l'inspiration venait rarement sur commande.

Elle avait fait la maligne devant Maxine, mais en réalité, elle ne comprenait pas réellement pourquoi monsieur Garance avait insisté pour qu'ils "s'écrivent". Elle n'avait aucune idée de ce que ça signifiait. Et puis un poème...

No confondait régulièrement vers et prose. Elle détestait les livres de plus de soixante pages. Elle n'avait lu de Rimbaud que de rapides extraits trouvés sur internet parce qu'il était au programme de l'an dernier, et elle ne trouvait d'ailleurs pas grand intérêt à toutes ces métaphores, oxymores et comparaisons. Les poètes ne pouvaient pas dire ce qu'ils pensaient sincèrement, sans s'encombrer de jolies tournures?

les jolies jeunes fillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant