CHAPITRE 2 : Un long voyage

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J'entends d'en-bas le fracas assourdissant des lames. Les combats semblent s'éterniser. Au campement, il y a à peu près une dizaine de bandits. Pourtant, à entendre les voix et les coups, je dirais que l'on s'est fait dépassé par le nombre. C'est lorsque je vois entrer un trait de lumière que je comprends que l'intrus a gagné. Je ne peux pas voir tout de suite qui est entré, un peu éblouie, alors je tente, chuchotant.

"Haron, c'est toi ?"

Pas de réponse.

"Brahed...?"

Toujours le silence. Je prends peur et j'attrape la dague d'acier plantée à côté de moi et j'arrache ma laisse. En sortant, je vois un guerrier en armure de plates. C'est un Rougegarde, à la peau sombre et aux muscles saillants sous son plastron brillant. Il ne m'a pas entendue. Il a la tête dans nos coffres. Je m'approche de lui, à pas de loups, poignard brandi, les yeux braqués sur sa nuque nue. Lilchor, un dunmer du camp, m'a appris à me battre et à rester plus silencieuse qu'un assassin de la confrérie. Il ne me reste plus que cinq pas. Il m'a dit que l'air était mon ennemi et que le moindre geste un peu brusque me trahirait. Quatre pas. Que je devais maîtriser les battements de mon cœur et ma respiration. Trois. Que lorsque je pouvais entendre la proie inspirer, je devais me retenir d'expirer. Deux. Que lorsque je voyais la sueur sur sa peau, je pouvais y mettre le sang. Un.
Une douleur vive me prend et je lâche mon arme. Je regarde ma main, gémissant un peu. "Et n'oublie pas de regarder derrière toi." J'ai manqué à la dernière consigne de l'elfe noir. J'arrache, les larmes au yeux le trait de bois et de fer planté dans mon poignet. Le noir se retourne, effaré. Il fixe un point derrière moi. Comme au ralenti, je l'imite. Il y a trois soldats habillés en rouge. L'un sort de son carquois une autre flèche qu'il braque sur mois alors que, vaincue, je me laisse tomber à genoux. J'ai fait une erreur fatale. Je les observes jeter un coup d'œil autour. Le plus grand des trois s'approche de mon ancienne geôle.

"Loïs, venez voir soldat !

-Je suis là, s'enquit l'archer

-Tu n'as pas tiré sur un bandit... C'était une captive... Ou une otage"

Ils se tournent tous vers moi, me toisant avec un drôle de regard. Derrière moi, ma cible me soulève et me jette sur ses épaules. Je sombre dans l'inconscience.

J'avais peur. Pire, j'étais terrifiée. Je courais aussi vite que mes forces me le permettaient. Je fuyais une créature que je ne voyais pas. Mais je l'entendais rugir, si fort que je pensais qu'il était collé à mes oreilles. Sa voix désincarnée m'appelait. Soudain, je trébuchai sur une racine noueuse. Ma cheville me fit souffrir. La douleur grandissait jusqu'à devenir insupportable. Elle se répandait dans mon corps entier.

"Tu ne m'échappera pas, je t'aurais, je te TUERAIS avant ! TU NE METTRA PAS FIN À MON RÈGNE PETITE IDIOTE JAMAIS"

Sa voix et la douleur s'amplifiaient tant que je crus à un moment que ma tête pouvait exploser. Je hurlai à m'en déchirer la mâchoire, à m'en arracher les cordes vocales. Puis je sentit que des bras puissants me secouaient.

Je reviens lentement à moi en larmes et en sueur. C'est le Rougegarde qui m'a réveillée. À première vue, on est installés avec les soldats rouges à l'arrière d'une voiture tirée par deux chevaux. À l'arrière marchent, attachés avec des chaînes, les bandits qui m'ont élevé pendant neuf ans. Élevé ou enlevé ? C'est ça qui est dur à dire. Sauvé en quelques sortes. S'ils n'avaient pas été là le Jarl de Vendeaume aurait fini par se débarrasser de moi, je le sais. Je m'assois à côté de l'imposant héro de plates, sans un mot.

"Petite...? Tout va bien ?"

Je ne lui réponds pas, les yeux dans le vague.

"Tu as du passer des heures bien sombre aux mains de ces malfrats... Nous sommes là pour t'aider, tu sais"

Je serre les poings mais reste stoïque. Mon regard s'attarde sur Haron, en tête se file, qui sue comme un porc et s'essouffle comme un bœuf. J'ai tant de peine pour lui qui m'a élevée...

"Il n'ont que ce qu'ils méritent. Ils ont pillés, ils ont tué, ils ont même enlevé une petite fille... Cela fait longtemps qu'ils te retiennent ?"

Je l'écoute à peine, m'arrêtant sur la mâchoire serrée de Brahed, signe de fatigue chez lui. Lui qui m'a toujours semblé invincible... Il était mon protecteur, malgré ses manières...

"Je me prénomme Nasan, je viens de Lenclume. Et toi, qui es-tu ?"

Je réfléchis un instant. Mon prénom, Mélodie, n'est pas courant en Bordeciel. Si quelqu'un me reconnait comme étant la disparue de Vendeaume, je risque peut-être d'y retourner... Je décide de garder le silence en attendant de trouver mieux. En laissant mon regard vagabonder, j'aperçois Lilchor. Même si il est le plus jeune du groupe, après moi bien entendu, il ne montre aucun signe d'épuisement. Il bombe le torse. Sa tête est haute. Je croise un instant ses beaux yeux rouges. Le dunmer ne semble éprouver ni fatigue ni haine. Il me fixe avec nostalgie ? Fierté ? Curiosité ? Je ne sais pas... Il regarde autour de lui puis baisse la tête. Intriguée, je suis son regard. Ses mains étaient en train de briller, et ses chaînes de... Fondre ?! Le dénommé Nasan semble s'être lassé de moi, il semble en grande conversation avec les guerriers à l'armure bordeau. Les deux autres, montés sur leurs chevaux, ferment la marche. Leurs arcs sont attachés sur leur dos, les empêchant de vite dégainer. L'elfe noir a toutes ses chances de fuir... Il me lance un regard interrogatoire que je comprends immédiatement, alors je jette encore un coup d'œil aux alentours. Il fait sombre, presque nuit. Tout le monde est épuisé. Je hoche la tête, lui adressant un sourire entendu qu'il me rend. Nous avons passé tant de temps ensemble que nous n'avons plus besoin de mots pour se comprendre. Je le vois retirer ses liens en silence, avec minutie, et les souder aux chaînons de son voisin de derrière sans que personne ne le vois. Il sait agir avec furtivité. Puis il m'observe de nouveau pour que je lui donne le feu vert, que je lui accorde après vérification. Il se baisse d'un coup et commence à courir vers la forêt. Le temps que les gardes s'en aperçoivent et bandent leurs arcs, il a déjà disparu dans la broussaille. Je ne peux m'empêcher d'avoir un petit rire qui me trahit. Les gardes se tournent vers moi... Et le sourire de Nasan efface le mien.

Skyrim - La fille du Sang de SerpentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant