Te souviens-tu de notre monde ? Ce paradis artificiel, ce voile invisible qui nous masquait de l'autre vie. Nous l'avions façonné de nos propres mains pour fuir toute cette immondice. Tant de haine et de violence. Ça te détruisait. Tu as toujours voulu le bonheur, mais au fond tu désirais tellement un monde merveilleux que tes efforts pour le changer t'épuisaient. L'abandon n'était pas dans tes projets, tu te battais toujours avec acharnement, pour rendre la flamme à toutes ces âmes tombées. C'était comme si tu vivais de leur incandescence.
Tu aimais les couleurs pâles, tu me répétais en boucle qu'elles seules arrivaient à t'apaiser. Le vert calmait ta colère, le bleu ta tristesse, le rouge ta folie. Tu avais un langage différent des autres parce que tu étais différente des autres.Une beauté singulière émanait de toi, l'on ne pouvait t'éviter. Tu l'étais peut-être même un peu trop. Les gens ont peur de l'inconnu, et toi tu étais pire que l'inconnu : tu étais l'ignorance dans la connaissance, l'innocence dans la culpabilité. Une chose complexe, vivante, indescriptible, inaccessible. Étais-tu réelle ? J'en doute. Comment pouvais-tu exister ? Le monde n'était même pas prêt à te recevoir. C'est d'ailleurs ce qui a causé ta perte. « Certaines choses ne méritent pas d'être réparées », je te le répétais sans cesse. Mais tu étais trop éloignée pour m'entendre. Un but était figé à jamais dans ton esprit et tu ne pouvais t'en détacher. C'est pour cela que ton existence me semble si incongrue. Tu étais une autre forme de vie, de celles qui viennent réparer le temps avant qu'il nous tue, qui dépose assez de mystère pour nourrir notre espoir pour l'éternité.
Je me souviens encore de ton corps élancé, tes lèvres pourpres, tes yeux bleu-gris. Parfois obscurs telle la tempête qui se déchaînait dans ton esprit, lorsque tu n'arrivais pas à atteindre l'impossible. Parfois lumineux, quand le monde s'ouvrait à toi autant que tu te donnais à lui. Peut-être que c'est ça, tu étais un enfant de la terre, la fille de l'univers, cet astre matériel. J'ai longtemps cherché à percer ton mystère. Mais sans t'en rendre compte tu fuyais le monde par peur qu'il te brise. Tu répétais sans cesse que tu avais un milliard de choses à faire avant de mourir. C'est pour cela que je l'ai créé, notre monde. Il t'a servi de repos, d'escale à ta vie. Si tu savais comme je l'aimais. Je ne sais pas quelles étaient mes réelles intentions. Celles dont on ne prend conscience qu'à la fin, la source de notre aveuglement.
Lorsque que l'inconnu est trouvé il perd toute valeur. Alors pourquoi cherchais-je à te dévoiler ? C'est certainement pour cette raison que tu m'as fui. L'immondice était en chacun de nous, au plus profond de nos entrailles. Je t'ai poursuivi, pour te retrouver, garder à jamais garder ta lumière, rien que pour moi, pour notre monde. Puis ton appel est revenu. Cette voix dans ta tête, dans ta poitrine. Elle te dictait ta tâche, pour que jamais tu ne l'oublies. Tu as alors compris que cette escale n'était qu'un piège, au départ prévu pour te sauver, alors qu'en réalité il t'éteignait à petit feu.
Je me sens seul dans ce monde. J'étais tellement aveuglé par la vie que tu déposais que j'en ai perdu la mienne. Viendras-tu me sauver ? Comme tu l'as fait pour les autres ? Je ne crois pas. Peut-être qu'enfin tu as compris mes paroles : « Certaines personnes ne méritent pas d'être sauvées ». Tu as bien raison.
Ce monde est vide sans toi, je devrais le refermer mais j'en suis incapable. Trop de souvenirs. Il est encore envahi de ta douceur. Il m'apaise autant qu'il me réduit. Je dois trouver la force de le quitter, de ne plus m'y réfugier.Au départ tu m'effrayais, comme tout le monde, à présent c'est de l'autre rive que j'ai peur. Elle m'est connue mais trop variable, trop destructrice, trop rongée par le temps, par l'évolution. Tu as déposé tant d'espoir dans notre monde que je n'en vois plus dans l'autre. Tu m'as donné la vie, alors pourquoi la reprendre ? Est-ce que cela fait parti de la chose ? « La vie prend source autant de la souffrance que du bonheur ». C'est donc cela ? J'apprends à vivre à travers la mort, à ressentir la douleur pour qu'elle ne soit que pastel. Comme tes couleurs. Elle devient une habitude, une présence au quotidien, mais les maux varient.
Je crois que même notre monde ternit. Tu l'as laissé choir lui aussi. Il est comme l'exposition de mes émotions, il me voit de l'intérieur et m'expose à moi-même. Je me découvre par son biais, c'est un peu étrange non ? Apprendre à se connaître à l'aide d'un monde que l'on a soi-même créé. Je pense qu'il m'a changé, à lui seul, en même temps que toi.D'ailleurs, souffrais-tu ? parfois j'ai le sentiment que tu aimais trop le monde pour ressentir quelconque malheur. C'est vrai, à présent je hais tout ce qu'il m'entoure, parce que tout est si fade, je ne vois plus les possibilités, les particularités, tout est uniforme et morne. Par moments j'ai l'impression de reprendre goût, en beaucoup plus fort, plus puissant, une implosion, presque une déchirure. Tellement habitué à l'obscurité que la lumière m'aveugle. Ces émotions ne sont que temporaires, mais elles sont là. Je vis pour ces instants. Pour cette lueur, cette chaleur, cette douceur, laissant le temps couler sous mes pieds, je me détache de l'extérieur et ne vis plus que recroquevillé en moi-même, attendant ton retour.
* * * * * * * * * * *
Le temps s'est écoulé. Je me suis trompé. Tu n'es jamais partie, tu n'as jamais fui notre monde, tu n'as pas écouté mon dicton. Au contraire, c'était ça : ta méthode.
J'étais trop obnubilé par l'Ora que tu émanais que j'ai n'ai même pas songé à la possibilité que je sois une de ces personnes que tu te devais d'aider, te devais de leur redonner vie. Ton absence m'a brisé pour mieux me reconstruire. Ces fragments de bonheur n'étaient que des fenêtres sur le futur, pour que jamais je n'abandonne.Tu connaissais la suite, c'est pour cela que tu es partie, tu savais que je devais renaître seul, par moi-même, pour me redéfinir entièrement. Pour façonner chacune de mes pensées, mes idées, mes réflexions. Pour faire de moi ce que je désirais être.
Je t'ai offert un monde en pensant être ton unique escale, alors que je n'étais qu'un point parmi des milliers.Je suis heureux. Que tu aies été ma couleur. Rouge, tu étais le rouge. Ma folie. Pourquoi ? Parce que tu n'as jamais existé. Pas réellement. Tu es le temps. Tu es l'amour. Tu es la vie. Tu es la mort. Tu es l'évolution. Cet être commun à tous et pourtant représenté de multiples de façons.
Dans un autre monde tu as sauvé des milliers d'êtres, dans le mien nous n'étions que deux. C'est pour cela que tu étais inaccessible, tu nous aides à retrouver le chemin, à quitter cette influence pour s'accrocher de nouveau à ce que l'on croit. Tu m'as montré toutes mes possibilités, et j'ai pu choisir quel était mon destin. Nous ne savons pas réellement qui nous sommes si nous nous contentons de ce qu'on nous a instruit. Il faut chercher par nous-même. Ne pas se laisser aveugler par ce qu'ils veulent nous faire croire, mais créer notre propre religion.J'ai aimé cette douleur comme je t'ai aimé, aussi inexistante que tu pouvais être. Nous avons tous ce moment, dans notre vie, où notre esprit créera ton matériel, pour que de tes mains tu nous rattrapes, et éclaire à nouveau notre vision.
Le monde me paraît si beau à présent, il est aussi doux que celui que nous avions créé. Au final, je savais qu'un jour je te retrouverais, tu étais simplement là, en moi.Mon âme.
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Nuits d'hiver
PoetryNuits de rêves. Nuits de peine. Nuits d'amour. Nuits de haine. Nuits de flou. Nuits d'hiver