Je suis retourné au bord de la route, près du pont, celui où nous nous sommes rencontrés. À vrai dire j'y retourne de plus en plus. Cela m'était difficile au début mais plus le temps passe et plus j'en ai besoin, peut-être pour garder les souvenirs en mémoire, de peur qu'ils ne s'échappent, je ne sais pas.Tu sais que les écritures ne sont pas parties ? Elles sont toujours là, tracées à l'encre blanche sur la plus haute barrière. Ces mots qui ont été assez puissants pour te retenir un an de plus, sans pour autant te sauver. Je ne saurais dire si je les aime plus que je leur en veux. Ils auraient du te retenir, j'aurais du te maintenir, et pourtant, tu t'es envolé.
Bref, j'y suis allé vers vingt-et-une heure, j'ai garé ma voiture en face et j'ai traversé la route, sans prêter attention autour de moi. Je me cachais du monde pour te retrouver, enfin, sentir ta présence. J'avais ce besoin de m'isoler, en toi, de me rapprocher un peu plus.
Mon visage était masqué par la capuche grise d'un de tes sweats, et si tu avais été là tu l'aurais sûrement abaissé sur mes yeux en t'enfuyant en courant. Mais là, il n'y avait personne pour me cacher la vue, et je le regrettais. C'est seulement à la dernière seconde que j'ai osé relever la tête et regarder cette rembarde. Même rembarde qu'à notre rencontre, même remebarde qu'à ta mort. Mais cette fois-ci nous n'étions plus seuls.Il y avait un garçon, au bord du vide.
Exactement comme toi tu l'étais, il y a un an.
Jouant entre la vie et la mort, debout sur la bordure. Un pas à droite, et il cesse. Un pas à gauche, et il continue.
J'étais figé, déstabilisé, l'image de ton corps ballant et inconnu était encore trop récente. Au départ je lui en ai voulu, il n'avait pas le droit de prendre ta place, de jouer avec ton endroit, de danser sur ta sépulture.Puis, j'ai compris.
C'était une deuxième chance.
Je n'avais pas su te sauver, mais peut-être que lui je pourrais.
J'ai peur que tu m'en veuilles, que tu m'oublies, que tu ne sois plus là pour veiller sur moi. Mais au fond de moi j'ai comme le sentiment que tu es l'auteur de ce murmure, tu me l'as susurré à l'oreille, alors tu ne m'en voudras pas si on partage ton endroit ?
Je l'ai regardé longtemps, avec passion, ce spectacle obscur était pourtant la seule étincelle que j'avais pu admirer depuis ton départ. Je me suis rendu compte à quel point tu me manquais, la vie est vraiment dure sans toi tu sais, presque impossible. Ton absence est en train de me tuer, l'incompréhension me ronge, me déchire, mes entrailles hurlent ton retour. J'ai oublié ce que c'était, que de s'occuper de soi, je me laisse mourir, peu à peu. Parce que je n'ai plus envie. J'ai appris à aimer la vie, avec toi, et maintenant que tu n'es plus là c'est comme si j'avais tout oublié.Il a fini par s'arrêter de marcher, le garçon, et m'a adressé un regard en retour, figé lui aussi, attendant mes mots, et certainement une explication sur la raison de mon arrivée, et de mon immobilité.
Il avait tes yeux, verts émeraude, je ne distinguais que son ombre mais je pouvais dire qu'il te ressemblait beaucoup. Magnifique, tu étais magnifique.
J'ai fini par lui adresser les mêmes mots que ceux que je t'avais accordé le soir de notre rencontre :
« Que ferais-tu si c'était moi au bord du vide ? »À l'époque, avec toi, ça prenait du sens, ou peut-être que ça en a pris plus tard, je ne sais pas. Tu semblais toujours haïr ton monde, non pas toi, simplement les conditions dans lesquelles tu devais évoluer. Tu semblais toujours controversé dans tes idées, on ne pouvait pas te cerner, et ça m'effrayait. Alors à cet instant j'avais peur de ne pas t'adresser les bons mots, terrorisé à l'idée te retenir autant que de te laisser partir.
Tu m'avais répondu que si nos rôles étaient inversés tu m'aurais rejoint, alors c'est ce que j'ai fait. Je me suis assis sur cette rembarde, et toi aussi, et ensemble, nous nous sommes perdus dans la beauté du silence. Dans ce confort qui chasse la solitude sans son calme, cette douceur qui crée un certain bien-être, oubliant le temps et ce dont à quoi il est relié. Pour la première fois de ma vie je m'étais senti en sécurité, au bord du vide. Simplement parce que tu étais là, et que tu étais bien.Alors j'ai ressorti cette même phrase à ce garçon, peut-être par hommage, par souvenir ou simplement par manque d'idées.
L'inconnu a marqué une pause, presque éternelle, un silence s'est installé, assourdissant le bruit des voitures sillonnant l'asphalte. Son visage devenait de plus en plus lumineux, ses traits se dessinaient peu à peu, ils étaient trop familiers, c'était irréel. Je pouvais à présent parfaitement les distinguer, mais je ne les voulais pas, je réfutais cette idée, c'était impossible, irréel, inimaginable.
J'ai pris peur, j'ai commencé à paniquer, je comptais fuir, partir, terrorisé à l'idée d'affronter ma propre folie. Mais avant que je puisse faire un pas, il avait brisé le silence de sa voix rauque en déclarant :« Pourquoi t'obstines-tu à penser que je suis mort ? »
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Nuits d'hiver
PoesieNuits de rêves. Nuits de peine. Nuits d'amour. Nuits de haine. Nuits de flou. Nuits d'hiver