Chapitre 2 : Rencontres

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C'est avec une pointe d'agacement que Lisbeth constata qu'il ne lui restait guère de matière à ronger au bout de ses doigts, ayant passé un bon quart d'heure à entretenir ses ongles à coups de dents rageurs. C'était un tic qu'elle avait développé depuis sa plus tendre enfance, et que sa  « chère » famille s'était évertuée à faire disparaître, sans succès – au contraire, il semblait s'être renforcé depuis qu'elle était partie de chez elle, il y a de cela quatre mois.

Elle releva la tête en sentant une douce chaleur sur son bras, qui provenait, bien sûr, de son amie d'enfance, Abrielle Gorgy, assise à sa gauche. Lisbeth la dévisagea en se fendant d'un mince sourire se voulant rassurant – elle pouvait lire sur le visage de sa jeune amie une certaine inquiétude, ou au moins une appréhension. En réalité, elle même ne sentait pas à l'aise.

Il y avait étonnement peu de monde, malgré l'heure, dans le restaurant où toutes deux se trouvaient, à l'exception bien sûr des trois autres « invités » qui leur faisaient face, aussi silencieux qu'elles l'étaient. L'endroit était calme, et tenait en vérité plus du bistrot de quartier, de la brasserie familiale que d'un véritable restaurant de luxe.

Mais de toute manière, manger était bien la dernière des préoccupations de Lisbeth, à ce moment précis. Et pourtant, cela faisait plusieurs jours de cela que la faim se faisait clairement ressentir, une sensation inédite qui, si elle avait apprécié l'expérimenter au début, était vite devenue gênante. Elle entendit d'ailleurs un léger gargouillement émaner du ventre d'Aby, venant troubler le silence pesant du coin dans lequel elles se trouvaient et fit rougir l'intéressée, bien qu'il n'y eut aucune remarque à ce sujet.

Lisbeth rejeta ses longs cheveux roux et bouclés en arrière, jusqu'à qu'ils soient parfaitement rangés derrière ses épaules. Contrairement à ce cher Jack Swift dont elle ignorait encore l'existence, son visage était loin d'être banal, et, surtout, ne laissait pas indifférent. Certains jugent la beauté comme quelque chose de subjectif, d'autres la pensent objective, mais tous s'accorderaient sans aucun doute sur cet état de fait : Elizabeth était une belle jeune femme, assez pour attirer le regard d'hommes mûrs malgré ses dix-sept ans. Elle faisait d'ailleurs un peu plus âgée. Sa peau, blanche comme le lait, ainsi que ses traits fins et harmonieux trahissaient ses origines aristocratiques, bien qu'elle essayait de le cacher en portant des vêtements plutôt masculins, qui camouflaient ses formes. Sans arriver totalement à tromper les gens sur son sexe, ils annonçaient la couleur : Lisbeth n'était pas une femme faible, au contraire, et elle savait se servir de la rapière qu'elle portait à la ceinture.

Cette dernière était d'ailleurs à portée de main, et elle pouvait presque sentir le contact de l'acier froid de la lame. Aucun des trois hommes en face d'elle ne semblait agressif, mais elle avait appris à se méfier des apparences, tout au long de son enfance.

Lisbeth ouvrit la main droite, vérifiant que son pendentif en argent s'y trouvait toujours. Son premier réflexe, après avoir fugué, avait été de l'enlever. Non pas qu'elle ne l'aimait pas, au contraire : il s'agissait d'un vieux cadeau de son frère décédé, et elle y apportait donc un soin particulier. Mais le cygne qui s'y trouvait à l'extrémité, emblème de la famille Tear, ainsi que la valeur marchande d'un tel bijou, aurait vite attiré les convoitises, et donc les ennuis.

Elle le regarda quelques instants, ce qui lui rappela qu'il y a peu de temps encore elle se trouvait au manoir familial, dans une toute autre vie que celle qu'elle menait à présent, une vie dans laquelle elle n'avait jamais connu la faim. Cela ne l'avait pas rendue heureuse pour autant.

Elle reporta ensuite son attention sur les trois inconnus. Deux d'entre eux devaient avoir dans les dix-sept ou dix-huit ans également, mais le troisième était plus jeune. Quatorze ans, estima Lisbeth : l'âge à lequel on commence véritablement à changer, une phase de transition où on conserve ses traits d'enfants tout en se muant peu à peu en adulte. Cela se voyait rien qu'à son attitude : il tentait tant bien que mal de bomber le torse et de prendre un air confiant, mais il suintait la peur par tous les pores de sa peau, et les regards inquiets qu'il jetait fréquemment aux alentours ne faisaient que rendre cela plus évident encore.

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