Secret

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Théo m'attend devant le lycée à la fin des cours. Ilme regarde sans un mot et on se dirige vers sa maison, on diraitqu'il a compris que qu'il ne va pas avoir de longues conversationsavec moi. Je ne trouve pas ça particulièrement gênant.
Enréalité, il n'habite vraiment pas loin du lycée et en moins decinq minutes, nous sommes arrivés. Il habite dans un petit immeublede ville. On retire nos chaussures et il me prend par la main pourm'emmener dans sa chambre. Ce contact me crispe un peu, mais je nedis rien.
C'est seulement une fois assis sur son lit qu'il prendla parole.
- Pourquoi tu ne parles jamais ? Pourquoi tu as toujoursl'air exaspéré ? Pourquoi tu es si différente ?

Je tourne la tête, je ne m'attendais pas à ce qu'il me bombardeautant de question. Cependant, je ne peux pas être indifférente àses questions, même si je ne sais pas y répondre, ou alors, je neveux pas y répondre. Alors, je me contente d'une réponse toutefaite.
- C'est juste que je n'ai pas de grandes choses àraconter. Donc c'est quoi le sujet de travail ?
Il fronce lessourcils et me sors le poème qu'on doit étudier. Demain dès l'aubede Victor Hugo. Tandis que je pense que l'on va se mettre au travail,il s'assoit sur son bureau et reprend la parole.
-Tu sais, si tuas des problèmes, commença-t-il. Tu peux m'en parler. Enfin...
Ilse tait en voyant mon regard noir et baisse la tête. Je ne voisvraiment pas où il veut en venir. Alors d'accord, on doit faire unstupide travail de groupe ensemble. Mais on n'est pas obligé de seraconter nos vies non plus. Surtout que la mienne n'est pas folle...
Ilse relève doucement et s'agenouille devant moi. Mais putainqu'est-ce qui se passe ? Je prends le poème en main et commence àle lire, en espérant qu'il va arrêter son comportement bizarre.Mais non. Il m'attrape une main et la serre tendrement. Je me dégageet recule un peu sur le lit.
- Théo... Tu me fais quoi là ?C'est de la drague, c'est ça ?
Il ouvre grand les yeux et rougitface à ma déclaration.
- Non, non ! Se défend-il. C'est juste...Que... Putain Aby... Je les ai vues... Alors arrêtons de fairesemblant.
De quoi il me parle. Je me relève lentement en lebousculant.
- Écoute, je ne sais pas ce que tu crois savoir àmon sujet... Mais, on est juste camarade de classe. Donc soit tut'exprimes clairement, soit on se concentre sur ce stupide poème.
Ilse redresse d'un coup, le visage rouge.
- Tes marques, tes bras.C'est de ça que je parle Aby. Alors arrête de faire semblant. Je nesais pas depuis combien de temps, tu te fais subir ça, mais il fautque tu arrêtes. C'est stupide et dangereux.
Je perds quelquescouleurs et détourne le regard. Putain... Putain, putain ! Commentil a pu les voir. Je fais toujours hyper attention en cours. Jecommence à ramasser mes affaires en lui tournant le dos.
- Je nesais pas ce que tu crois, mais tu te trompes. Et surtout, surtout,n'essaie pas de comprendre ça. Je suis venu ici pour le travail, paspour avoir une séance de psychologie de comptoir. Alors maintenant,excuse-moi, mais je vais rentrer.
Il se place devant la porte.
-Arrête, je ne te fais pas de la psychologie de comptoir. Je veuxjuste t'aider.
Je sens une forte émotion monter en moi. C'esttrop, ça fait des mois que je ne parle plus à personne. Que je meconfie difficilement à mon frère. Que j'essaie d'enfouir au fond demoi toute trace de colère ou de tristesse. Mais lui, ce garçondevant moi, est doucement en train de me refaire sortir toutes cesémotions.
Alors c'est peut-être pour ça que tape du pied parterre et le bouscule contre la porte.
- Mais qu'est-ce que tu en sait de ce que je vis ?! Merde Théo ! Tu ne peux pas juste être unpote normal, avec qui je pourrais déconner en cours et manger lemidi ?! Je ne veux pas être aidé puisque je n'ai pas de problème !Ou en tout cas rien qui te concerne !
Je sens que la colère estaussi en train de monter en lui, il enlève son pull d'un coup pourêtre en teeshirt, comme s'il... voulait se battre ?
Maisqu'est-ce que... Mes yeux se posent alors sur ses bras et les motsque j'allais lui cracher dessus meurent sur mes lèvres. Ses bras...Mes bras, ses bras... Les mêmes... Les mêmes marques...
Je medétourne et retourne m'assoir sur son lit. Je me sens tellementhonteuse putain... Je suis trop conne...
Je l'entends remettre sonpull et s'assoir à côté de moi.
- Je ne te fais pas depsychologie de comptoir... Je veux juste t'aider, parce que jecomprends ce que tu vis... Alors s'il te plait... Ne me repoussepas...
Suite à ses paroles, un long silence s'abat dans la pièce.Je n'ose plus le regarder et je crois que lui attends une réponse.
Après dix minutes, il attrape la feuille avec le poème etcommence à le lire, à voix basse. C'est un très beau poème. Ilparle du deuil. Est-ce qu'il sait que ce texte résonne en moi ?Est-ce qu'il résonne aussi en lui ? Je ne dis rien, me laissantbercer par sa voix. Il y met du cœur, de la douceur et de laconviction.
Le dernier vers résonne dans la pièce et je retiensun frisson d'émotion. Je n'ai pas envie de briser la bulledans laquelle nous nous trouvons. J'ai l'impression qu'à travers lesmots de Victor Hugo, on s'est un peu plus découvert.

Mais l'instant est trop beau pour durer éternellement. On entendune porte claquer en bas et Théo se relève d'un coup. Je ramassemon sac et mon manteau.
Alors que j'ai la main sur la poignée, ilprend la parole.
- Tu veux bien m'accompagner à la soirée deJustin vendredi ?
Je suis tellement surpris par sa demande que jelui lâche un petit oui et fuis rapidement l'appartement.
Ce n'estqu'une fois en chemin pour rentrer chez moi que je me rends compte dema bêtise. Je ne vais pas pouvoir aller à cette soirée à la foisavec Justin et avec Théo... Sauf si je me dédouble.

Plic-Ploc [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant