S'écraser

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Plic-Ploc. Je me demande qui a décrété que la pluiefaisait ce bruit en tombant au sol. Qui pour la première fois aécrit plic-ploc en parlant de la pluie ? Comme le tic-tac del'horloge ou le boum d'une explosion. Finalement, ceux ne sont quedes bruits sourds. Et d'ailleurs pourquoi on appelait ça des bruitssourds ? Parce qu'un bruit ne peut pas entendre, donc il ne peut pasêtre sourd, puisque ce n'est pas vivant, enfin il y a aussi deschoses vivantes qui ne peuvent pas entendre. Comme mon grand-père.Il est complétement sourd. Mais parce qu'il est vieux. Un objet,même neuf, ne peut rien entendre en théorie... Sauf les téléphones,puisqu'ils peuvent nous enregistrer...

Sans m'en rendre compte, j'ai soupiré. J'étais bloqué dans unesuite de questions sans fin. Et je savais que je pouvais rester desheures assise, debout, allongé, en cours, dans mon lit ou même àtable, avec toutes ces questions, qui n'auront sûrement jamais deréponse. Parce que j'ai trop de peur de paraître folle en lesposant. J'ai peur qu'on me trouve à côté de la plaque, bizarre.Alors je les garde pour moi, après tout, je pense que personne nesait vraiment qui à décréter que la pluie faisait plic-ploc ou queles horloges faisaient tic-tac. Peut-être que je pourrais trouver lapremière mention de ce bruit dans un ouvrage... Ou probablement queje devrais oublier cette question stupide, car elle ne m'apporterarien. Par contre, apprendre ce qu'est une métonymie, ça, c'esttellement plus important. Et si je demandais à ma prof delittérature d'où venait ce bruit ? Après tout, ça fait partie dela littérature, elle doit le savoir. Ou pas. Et puis zut, je décidede mentalement mettre ces questions à la poubelle. Je suis encore entrain de me polluer l'esprit, comme dit mon frère.

- Aby rentre tout de suite !

Je n'ai pas esquissé un mouvement. C'est étrange commentcertaines voix peuvent faire ressentir des émotions fortes. Parexemple, celle de ma mère me provoquait un véritable dégoût, sansraison particulière, peut-être parce qu'elle avait une voix aiguëet nasillarde, un mélange très écœurant à mon avis. Par contre,la voix de mon père était chaude et douce, comme ma bouillotte unefois sortie du micro-onde.
J'ai préféré regarder les gouttesd'eau qui tombaient sur le sol, s'écrasant, formant des gouttesd'eau encore plus petite. C'est beau, apaisant. Comme pleuré. Enfinnon, pleurer ce n'est pas beau, quand on pleure, on a les yeuxrouges, le teint pâle, on renifle de manière peu gracieuse... Maisc'est quand même très apaisant. Après, on dort bien, sûrementparce que c'est fatiguant de pleurer. Ou certainement puisque après,on a la tête vide. Enfin, dans le cas de certaines personnes, ellesont souvent la tête vide. Ou alors ils ont tellement de choses dansla tête qu'elles sortent la pensée la plus débile.
Moi, j'aimebien pleurer, mais pas devant les gens. Généralement, ils pensentque je suis trop émotif, que je devrais prendre sur moi. Donc jepleure que dans ma chambre, plus précisément dans mon lit. Si je nesuis pas dans mon lit, je n'arrive pas à pleurer. Pourtant, j'aifréquemment des occasions de pleurer en dehors de mon lit. Mais çame fait un blocage.

-J'ai préparé ton goûter !

J'ai cette fois fait un mouvement subtil, un ricanement. J'avais16 ans, mais ma mère s'obstinait toujours à vouloir me préparermon goûter comme si j'en avais 6. Je savais très bien qu'ellefaisait ça pour y dissimuler mes antidépresseurs. Je ne savais pastrop si ces petits cachets avaient vraiment un bon effet sur moi. Enréalité, je trouvais ça très stupide, mais ma mère souhaitaitabsolument suivre toutes les indications de mon psy, parce qued'après elle, il avait fait de longues études. Il savait donc toutsur la psychologie des adolescents. Encore plus de choses que lesadolescents eux même. Fantastiques. Moi, je n'avais vu aucunedifférence depuis que je les prenais. Et pourquoi quelqu'un quin'est pas moi devrait mieux savoir que moi ce qu'il y a dans ma tête.Je trouve ça presque angoissant. Je n'aimais pas mon psy, il voulaitse la jouer trop cool et sympa avec moi pour un homme de 60 ans.

-Aller dépêche ! Tu vas tomber malade !

Je pousse un profond soupir et bouge. Je lève le menton, laissantencore un peu les gouttes d'eau s'écraser sur mon front. Je repenseà toutes ces personnes qui avaient joué les gouttes d'eau etc'était écrasé. Un suicide. Elles ont regardé le sol, ont soupiréet se sont envolé. C'était leur plus beau baptême de l'air.Gracieux, infinie. Mais à la fin, il y a quand même la chute.Douloureuse. J'ai lu quelque part que quand quelqu'un sauter dans levide, il avait de grandes chances de faire une crise cardiaque avantde toucher le sol. Il ne subit donc pas le choc de l'atterrissage. Ilreste en perpétuel envol. C'est beau.
Je n'ai pasparticulièrement envie de mourir, même si ma mère pense lecontraire. Mais je ne trouve pas un pas grand attrait à la vie nonplus. On va dire que j'attends juste le jour où je pourraisrejoindre mon père. Je ne crois pas forcément au paradis, mais entout cas, je ne serais plus de ce monde sans lui. Et c'est ce quim'importe le plus.
Je tourne les talons et rentre dans le salonbeaucoup trop éclairé. Sans que je puisse faire le moindre autregeste, ma mère me fourre dans les mains mon assiette de pancake etcroise les bras, en attendant que je les mange. Je ne fais aucuncommentaire. Lui parler n'aurait servi à rien. Alors je les avalesans grand plaisir et me dépêche de boire mon verre de jus d'orangepour remonter dans ma chambre. Toujours sans un mot.
C'eststupide, ma mère n'est pas méchante, elle fait de son mieux pourmoi. Mais je ne suis pas sûr qu'elle sache vraiment ce que c'est lemieux pour moi. Pourtant, je ne suis pas son premier enfant quitraverse l'adolescence, elle a très bien réussi avec mon frère.Mais lui n'avait pas vécu le deuil... Peut-être que là est toutela différence. J'aimerais réussir à ne pas voir constamment sesdéfauts, mais c'est plus fort que moi. Dès qu'elle est dans la mêmepièce, j'ai l'impression qu'ils me sautent au visage.

Je m'allonge dans mon lit et regarde longuement en face de moi.Après deux semaines de vacances, je dois reprendre le chemin dulycée demain. J'aime bien les cours, j'aime bien apprendre. J'aiquelques connaissances, pas des amis, non. En fait, le plus clair demon temps dans le lycée, je le passe sur un banc. Quand je ne suispas en cours bien sûr. Parfois, deux trois personnes passent devantmoi et me demande si ça aller bien. Je leur souris et leur répondque oui. Mais au fond de moi, j'aimerais tellement aller avec eux,avoir des amis... J'en avais avant. Avant l'incident. Mais après, jesuis devenu bizarre. J'ai arrêté de parler, de rire. Je me contentede vivre en mode automatique. Et maintenant que je souhaite sortir latête de l'eau, je ne sais plus vers qui me tourner. Puis les autresont tellement assimiler que je voulais être seul qu'ils n'essaientplus de me parler.

On frappe doucement à ma porte et monfrère passe sa tête en souriant.
- Maman m'a dit que tu avaisrecommencé à trainer sous la flotte ? Tu n'es pas croyable quandmême !
Je me décalai pour lui faire une place et souris detoutes mes dents.
- Premièrement, tu ne peux pas comprendrepourquoi je fais ça. Deuxièmement, tu ne devrais pas être autravail ? Et troisièmement, puisque tu es là, tu vas pouvoirregarder un Disney avec moi !
Il leva largement les yeux au cielet s'étala dans mon lit.
- Premièrement, tu me crois si con queça ? Deuxièmement, non, c'est mon jour de congé. Et troisièmement,tout ce que tu veux, mais pas la reine des neiges.
Je rigolai etattrapai mon ordinateur pour mettre le film de mon choix.
- Tucrois que je pourrais réussir à me faire de nouveaux amis ?
Ilne dit rien, mais me caresse doucement les cheveux. Je trouve saprésence très rassurante. C'était toujours lui qui se dresse entremoi et le monde effrayant. C'est un peu mon garde du corps. Enfin,quand il était là...

Plic-Ploc [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant