Invisible

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J'ouvre les yeux péniblement, je n'aime pas le matin,ça signifie de nouvelles choses à mémoriser, à découvrir, ce quientraine un nombre incalculable de questions que je garderaisévidemment dans ma tête. Le matin signifie aussi la même routineaffligeante, comme si nous étions nous-mêmes prisonnier de notrecorps, à faire les mêmes actions. Je déteste faire deux fois lamême chose, ce que ma mère n'a toujours pas compris après 16 ans àme côtoyer. Elle ne me comprend pas. On est complétement àl'opposer l'une de l'autre. Pourtant, on s'aime un minimum. Elle estma mère, je suis sa fille. Et je me souviens que dans le passé ons'entendait même super bien. C'était mon exemple d'amour.
Je melève sans réelle motivation et me dirige d'un pas mécanique dansma douche. Le jet d'eau chaude me réveille et il fait s'envoler lesderniers souvenirs de mes rêves. Une fois séchés, je m'habilled'une simple robe beige. J'aime bien mettre des robes, surtout quandelles tournoient joliment. Je ne me maquille pas, pas la force. Jesaute aussi la case petit déjeuner, en fait je profite que ma mèreparte tôt au travail pour ne pas être constamment surveillé. Monfrère doit surement encore dormir. Alors je mets mes écouteurs etpart en direction du lycée. Le soleil est gentiment en train de selever et j'entends les pigeons sur les toits. Je pourrais prendre lebus, mais j'apprécie vraiment le fait de pouvoir profiter du ventfrais sur mon visage, avant d'être enfermé dans mon lycée toute lajournée.

Après une demi-heure de marche, je me retrouve dansma salle de classe. Nous attendons que la professeure de françaisarrive. Les autres élèves sont en train de discuter, gaiement, dela soirée du week-end dernier. C'est Justin qui l'a organisé. Onpeut dire que c'est le mec populaire de notre niveau. On est ensembledepuis la primaire et avant on s'appréciais pas mal. C'estd'ailleurs pour ça que je suis toujours invité à ses fêtes. Maisça fait maintenant quelques mois que je n'y vais plus. Depuis monpère... Le brouhaha en cette matinée commence à me donner un petitmal de crâne. Je me retiens de lever les yeux au ciel quandj'entends des filles glousser. Elles ne sont pas méchantes, mais jeme passerais bien de leurs voix criardes dès le début de journée.En vérité, j'aimerais même ne pas être là du tout.

Pourtant,je suis là. Assis à côté de ce garçon, Théo. Théo estconsidéré comme un invisible. Non pas que l'on puisse voir àtravers. Mais il ne parle jamais, il ne se fait jamais remarqué, quece soit en bien ou en mal. Comme la plupart des profs nous placentsobrement par ordre alphabétique, on est constamment côte à côte.Depuis désormais le début de l'année. Toutefois, je ne suis mêmepas sûr qu'il est déjà entendu le son de ma voix, ou moi lasienne. Je ne sais même pas s'il m'apprécie bien ou toi. Finalementle prof arrive et coupe court à tous les bavardages.
Encore unefois, aujourd'hui, je ne lui parle pas et lui ne me parle pas. Tandisque je griffonne dans mon cahier, lui est plongé dans son téléphone.En même temps, le cours n'est pas forcément le plus intéressant.Un cours de français, sur un poème de Baudelaire. Je jette un coupd'œil vers le téléphone de mon voisin. Il est sur Twitter. J'aimoi-même un compte sur l'application. C'est bien le seul endroit oùje me livre réellement. Je suis totalement anonyme alors je peuxparler de tous mes proches sans me mettre de filtres. Soudain sonregard croise le mien. Je rougis et lui fait un petit sourire avantde retourner à mes gribouillis.
Tandis que la prof nous dicte laleçon à écrire, je lui rejette un coup d'œil. Je suis étonnéeque la professeure ne l'est pas encore remarquée, mais le jeunehomme est encore sur son téléphone. Il est passé sur Instagrammaintenant. Je me désintéresse du cours et regarde plusintensivement l'écran. Je remarque qu'il est abonné à plusieurscomptes LGBT+ que je suis aussi. Sans m'en rendre compte, ma têtepenche de plus en plus vers lui, pour mieux regarder le téléphone.
-Monsieur Théo ! Mademoiselle Aby !
On sursaute en même tempsalors que la prof croise les bras et nous regarde sévèrement. Jebaisse la tête et fixe mon cahier. On marmonne en même temps desexcuses et elle retourne à l'explication du poème.
Je n'ose mêmeplus relever la tête. Je ne me fais jamais réellement remarquer etvoilà que je me fais reprendre en plein cours... Théo me met alorssous les yeux un petit bout de papier avec écrit "Thénos".Je fronce les sourcils et lui jette un coup d'œil. Il reprend lebout de papier et rajoute le logo d'Insta. Je comprends qu'il vientde me passer son pseudo. Je lui fais un petit sourire et range lebout de papier dans ma poche. Je ne m'attendais pas vraiment à ça,mais j'avoue que ça me fait plutôt plaisir.

Je me dis quandmême que c'est drôle. Tout le monde nous considère comme desinvisibles la plupart du temps. Et même entre nous, on se considèrecomme ça, mais on pourrait peut-être changer les choses ? En toutcas, en lui rejetant un autre coup d'œil, je ne comprends paspourquoi je ne l'ai pas vue avant.
Le cours continu et je le suisavec difficulté. J'ai du mal à me concentrer, trop perturbée parle comportement de Théo. Pourquoi il veut nouer un lien avecaujourd'hui ? On aurait pu continuer à s'ignorer tout le reste del'année. Après il est vrai que c'est moi qui me suis en premièreintéressée à son téléphone.
Soudain je suis sortie de mespensées par la voix de la prof.
- Théo avec Aby.
Je fronceles sourcils et relève la tête. Quoi ? Elle enchaîne avec d'autresnoms.
- On va enfin pouvoir apprendre à se connaitre. Me murmureThéo.
- Hein comment ça ?
- Bah, continue-t-il. Pour letravail de groupe. Ça va être sympa, tu pourrais passer chez moiaprès les cours ? Comme ça on pourra le finir rapidement.
Je nedis rien pendant quelques instants. Un travail de groupe... Je nesais même pas sur quoi porte le sujet... Je hoche néanmoins latête. Il a raison sur un point, plus vite on s'y mettra, plus viteil sera fini. Je vois du coin de l'œil qu'il me fait un petitsourire et retourne son regard vers son téléphone.
Je fais unpetit sourire aussi. Finalement, je vais peut-être réussir àsortir de ma bulle et à me faire de nouveaux amis.





Plic-Ploc [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant