Chapitre Vingt

63 16 0
                                    


           Owen jouait de ces rumeurs qui arpentaient le lycée à son sujet. L'ange déchu, l'appelaient-ils. N'ayant toujours pas prononcé un mot dans l'enceinte de l'école depuis la rentrée, le garçon suscitait un grand intérêt, auprès de la gente féminine notamment. Dès qu'il marchait dans les couloirs, il sentait les regards peser sur lui. Il avait ce rôle de mauvais garçon, qui ne regardait personne. De ce fait, il avait senti au fil des semaines que plusieurs lycéens lorgnaient Aglaé de regards assassins. Cette étrange jeune fille, un petit peu old-school, qui semblait être la seule personne à qui Owen s'intéressait.  La seule personne avec laquelle il passait souvent ses pauses.

Depuis le suicide d'Ange, le garçon aux yeux noirs s'inquiétait réellement pour son amie, et ces regards mesquins ne l'amusaient plus. Plus depuis qu'Aglaé semblait aussi vide de l'intérieur. Ainsi, c'était anxieux qu'Owen arriva en cours ce lundi matin. Depuis deux semaines, soit depuis l'enterrement, la jeune fille s'était renfermée sur elle-même et ignorait presque le garçon. Quelques petits sourires par-ci, par-là, mais plus rien de la complicité qu'ils avaient fini par établir. Il repensa à la seconde nuit durant laquelle la jeune fille avait dormi chez lui. Il eut presque l'impression de l'entendre de nouveau souffler, de sa douce voix enfantine :

— C'est la Constellation d'Aglaé.

C'était cette nuit-là, d'ailleurs, qu'il avait enfin compris. Qu'il avait enfin compris que cette jeune fille aux cheveux si courts, à la frange trop haute, était devenue bien plus importante pour lui qu'il ne le pensait. Oui, c'était bien cette nuit-là qu'il avait réalisé qu'il était fou amoureux d'elle.

Il s'installa à sa table au premier rang, et sortit son ardoise. Du coin de l'oeil, il vit Kyoko l'approcher. Il se contenta de serrer sa mâchoire pour qu'elle comprenne que cela ne valait même pas la peine d'essayer. Enfin, il reconnut la démarche légère d'Aglaé. Il s'attendait à la voir rejoindre sa place en fond de salle mais contre toute attente, elle se dépêcha de le rejoindre. Elle détestait être au premier rang, cela lui donnait l'impression d'être observée. Mais elle prit sur elle, désireuse de retrouver son Owen. Timide, elle vint doucement poser ta tête contre l'épaule du garçon. Elle le sentit se détendre, alors elle sourit. Ils restèrent un moment en silence, puis elle lui murmura un doux :

— Dessine-moi des ailes.

Elle adorait le voir dessiner, et d'autant plus que ce jour-là, elle était déterminée et avait une idée derrière la tête. Owen tailla son crayon et celui-ci vint caresser le papier de l'un des cahiers d'Aglaé.  Elle le regardait faire, songeuse.

Ils passèrent la journée ensemble, chacun étant apaisé par la présence de l'autre. Et finalement, une proximité nouvelle s'installait, naturellement. Owen comprenait que ces deux semaines d'ignorance avait permis à Aglaé de se retrouver avec elle-même, et de consacrer ses pensées à Ange. Dans la mesure où c'était encore trop tôt, à ses yeux, pour oser s'autoriser du répit. Désormais, ils pouvaient se retrouver, apprendre à vivre de nouveau. Tel le printemps après la mort de l'hiver. Enfin, les cours prirent fin et Owen fut surprit de sentir Aglaé lui attraper le bras.

— Toi, tu viens avec moi !

Il rit doucement, heureux de retrouver la fougue légendaire de la franco-égyptienne. Il la suivit jusqu'au centre-ville, alors qu'elle ne répondait à aucune de ses questions. Ils arrivèrent devant une devanture de boutique atypique. La vitrine était fissurée et même la porte semblait prête à s'effondrer à tout moment. Et évidemment, il fallait que ce soit l'endroit où Aglaé avait décidé de se rendre. Ils entrèrent et grande fut la surprise d'Owen lorsqu'il comprit dans quel lieu il se trouvait. Il lança un regard interrogateur à la jolie jeune fille à ses côtés qui lui montra son poignet droit.

— J'ai pensé que ce serait un bel hommage.

Elle salua l'homme qui travaillait là et ils se mirent à discuter comme si ils se connaissaient depuis toujours. Enfin, elle sortit de sa poche un papier froissé. Owen fronça les sourcils en reconnaissant les ailes qu'il avait dessiné le matin même. Ainsi, tout était prémédité... Une demi-heure plus tard, les deux amis sortaient enfin et Aglaé regardait fièrement le pansement sur son poignet. Elle répétait mille mercis à Owen, ne cessant de le prendre dans ses bras dés que l'occasion se présentait. Le garçon devait avouer que cela allait bien lui aller, ces ailes tatouées sur son poignet, lorsqu'elle pourrait se libérer du bandage. Enfin, ils se séparèrent, se disant au revoir dans une étreinte gênée. Ils sentaient bien que leur relation prenait un nouveau tournant.

L'Île au BrouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant