Chapitre Vingt-Sept

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— Je veux venir avec vous.

Aglaé essuya de nouveau un non catégorique. Elle enrageait. Enfin, la police avait décidé d'intervenir. L'affaire ayant pris une ampleur nationale, une équipe de CRS les avait rejoints. Les manifestations ne cessaient pas et les reporters de diverses chaînes télévisées avaient tenus à en faire parler. Les gros titres se multipliaient.

Les cours avaient repris mais nul n'avait réellement la tête à cela, pas même les professeurs. Et la jeune Mohaara avait sacrifié un lundi après-midi pour convaincre le groupe d'agents de la laisser les accompagner dans l'hôpital. Évidemment, ils refusaient tous.
De loin, Aglaé les suivit jusqu'à L'Île, sur laquelle tous les habitants attendaient avec impatience l'intervention. Derrière l'horizon montagneuse, la jeune fille devinait les nuages de pollution générés par les bâtiments grisâtres de l'entreprise. Là-bas, Alexi Edel était consigné jusqu'à nouvel ordre, en compagnie de certains policiers locaux chargés de s'assurer qu'il serait toujours présent si les faits qu'on lui reprochait s'avéraient exactes.
Le convoi avançait trop lentement aux yeux d'Aglaé, qui peinait à rester dans l'ombre. Elle osait espérer qu'elle pourrait s'introduire à leur suite dans l'hôpital. Peu à peu, les rues devenaient plus étroites et sombres, et bientôt, elles s'ouvrirent sur la place au milieu de laquelle trônait fièrement le grand bâtiment. La jeune fille ne put réprimer un frisson de terreur, avant de prendre sur elle pour se faufiler entre les grilles qui s'apprêtaient à se fermer derrière les hommes. Le brouillard les enveloppait, achevant de donner à la scène un air de film d'horreur. Mais il permettait également à Aglaé de ne pas se faire repérer, pour le moment. Enfin, elle attendit qu'ils aient quitter la réception pour y entrer à son tour.

Alors qu'elle pensait qu'ils se seraient dirigés vers l'ascenseur, ils tournèrent à droite pour rejoindre de vieux escaliers qu'elle n'avait pas vus lors de sa première visite. Elle songea alors à prendre l'ascenseur seule pour rester loin des regards mais elle comprit que les agents allaient en profiter pour vérifier tous les étages, et non seulement le dernier. À pas furtés, elle les observa fouiller le premier étage inférieur. Il n'y avait rien à signaler, et les agents commençaient probablement à penser qu'ils s'étaient déplacés pour rien. Ils n'osaient même pas affronter le regard du personnel apeuré. Aglaé était glissée dans l'ombre, prête à s'échapper ou à continuer à les suivre.

— Premier sous-sol, rien à signaler.

Le meneur fit un signe discret à sa troupe et ils se dirigèrent d'un même pas vers l'escalier. La jeune fille commençait à sentir leur impatience. Ils pensaient sans doute qu'elle les avait bernés. Plus ils s'enfonçaient dans les profondeurs de la terre, plus l'air se faisait pesant, étouffant. Aglaé sentait le sang bouillonner dans ses veines et sa vue se brouillait par moment.

Enfin, l'équipe arrivait au dernier étage. Tout personnel avait déserté, mais les policiers de la ville s'étaient assurés de guetter le pont pour ne laisser personne s'échapper. Ils enfoncèrent la porte de l'infirmerie, dans laquelle la jeune Mohaara avait vu l'avocate en camisole. L'un des hommes fouilla les étagères et ils prirent avec eux tout liquide et toute seringue qui tombaient sous leurs mains. Tout allait être analysé, supposait Aglaé.

Ils étaient désormais face à ce couloir infini et ses portes sinistres. Les chambres d'isolement. Le meneur tenait les photos représentant l'avocate, et le résistant disparu. Une à une, les portes s'ouvraient dans un fracas. Des patients sortaient, aveuglés par une lumière bien trop forte en comparaison à la pénombre de leurs cellules. Les agents tentaient de leur parler mais aucun ne semblaient pouvoir ouvrir la bouche. Comme plongés dans un mutisme. Les visages étaient ceux d'inconnus, complètement désorientés. Leurs peaux pales et leurs maigreurs alertaient enfin les agents qui communiquaient leur état au monde extérieur par le biais de talkie-walkies.

Les portes s'ouvraient une à une. De nouvelles personnes sortaient, et s'ils ne ressemblaient toujours pas aux personnes recherchées, aucun n'avait l'air fou. Le couloir touchait à sa fin, et ils approchaient enfin de la chambre dans laquelle Aglaé avait vu disparaître le fameux Laurent Pazzo. Trois hommes enfoncèrent la porte et la jeune fille ne pu réprimer un soupir de soulagement en reconnaissant l'homme. Le groupe s'agitait en superposant la photo à son visage tandis que le meneur confirmait aux équipes restées dehors qu'Alexi Edel était en état d'arrestation. Le séquestré semblait plus conscient que les autres patients, et parvint sans mal à soumettre son identité aux agents.
Mais les chambres avaient désormais été toutes fouillées, et l'avocate était toujours introuvable. Alors que l'équipe s'apprêtait à repartir, afin d'escorter les hommes et femmes qui peinaient à comprendre ce qu'il se passait, Aglaé se souvint d'un détail. Ses yeux se posèrent sur le mur du fond, au travers duquel le trou sanglant demeurait. Elle avait encore l'impression de pouvoir entendre la respiration qui s'en échappait. Mais les agents ne l'avaient pas vu. Envahie par l'adrénaline, elle sortit de l'ombre pour se poster devant eux, les empêchant de rejoindre les escaliers.

— Attendez ! Il reste encore un endroit.
Ils s'apprêtaient à la forcer à remonter mais le meneur leva la main, obligeant ses hommes à se taire et à s'immobiliser. Patiemment, il attendait qu'elle parle.

— Le mur du fond. Il est troué et quelqu'un se trouve de l'autre côté. Le trou était maculé de sang la fois où je suis venue.

Seuls trois agents se risquèrent à la croire et rebroussèrent chemin. L'un d'eux passa lentement le doigt autour du trou et le groupe entier tressaillit en remarquant la présence incontestable de sang. En un silencieux accord, ils se mirent ensemble à frapper le mur jusqu'à ce que celui-ci s'effondre. Une salle dont la noirceur semblait aspirer la lumière s'ouvrit à leurs yeux, et de nombreux hoquets d'horreur s'échappaient autour d'Aglaé. Un monticule de corps sans vies gisait dans un coin, alors qu'une forme frêle tremblait. La chose leva ses maigres bras en remarquant la lumière et un visage envahi par l'horreur leur fit face. Une femme dans un état lamentable, habituée à vivre parmi ces cadavres qui se faisaient de plus en plus nombreux. Alors que les agents s'approchaient doucement, tentant en vain de ne pas l'effrayer, Aglaé se frayait un chemin parmi eux. Elle qui s'attendait à découvrir l'avocate, sentit ses forces l'abandonner en découvrant la personne en face d'elle.

— Maman ?

L'Île au BrouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant