Chapitre Neuf

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Le soleil entamait doucement sa descente. Les rues s'assombrissaient à vue d'œil car l'astre disparaissait derrière le brouillard, celui-ci étant encore plus opaque qu'à l'usuel à cause des intempéries de l'après-midi. De fait, le ciel était strié d'orangé et de gris, et une brume légère demeurait et enveloppait les habitants. Les bateaux accostés au port semblaient flotter sur les nuages, le brouillard se mêlant aux vagues.

Assis sur un ponton, Owen réfléchissait. Le vent léger balayait ses cheveux sombres, et son regard noir était perdu sur l'horizon. Il savait qu'il serait bientôt l'heure où Gwen rentrerait chez elle. Cette mystérieuse fille sur laquelle il devait veiller. Son frère Samaël lui avait fait promettre que si un jour il venait à s'absenter, Owen devait prendre la relève et s'assurer que la jeune fille se portait bien. Le cadet n'avait jamais réellement su la raison pour laquelle son frère tenait tant à cette inconnue, il savait simplement que cela était lié à ce qu'il s'était passé sur le pont il y a deux ans de cela. Évidemment, Owen était chaque jour un peu plus tenté d'abandonner sa promesse, surtout maintenant que l'image de cette rose blanche s'était ajoutée aux choses qui le hantaient. Mais il était un homme de parole et ne pouvait s'y résoudre. Une promesse demeurait une promesse. De fait, il se leva et se dirigea comme chaque soir jusqu'à ce muret en pierre duquel il pouvait la voir.

C'est ainsi que Gwen arriva chez elle aux alentours de dix-neuf heures. La brune était seule, comme toujours, et avait vissé ses écouteurs à ses oreilles. Ses épaules, sa tête et ses bras remuaient au rythme de la musique, et elle semblait comme plongée dans un autre monde. Owen l'observait discrètement, les yeux perdus dans les vagues. Il vouait une haine sans fin à son frère, qui avait laissé autant de peines que de mystères derrière lui.

Le lendemain matin, Gwen quitta sa maison à huit heures, comme toujours. Elle se rendait dans son école d'art dans laquelle elle venait tout juste d'entrer. Alors qu'elle trébuchait sur le trottoir de sa rue, elle eut l'étrange impression d'être suivie. Et si le sentiment d'être observée lui était désormais familier, celui-ci était nouveau. La chair de poule la gagnait alors qu'elle accélérait. Et si c'était lui ? Et si ce mystérieux garçon était revenu, celui qu'elle espérait revoir depuis deux ans?

Plongée dans ses souvenirs, elle se rappelait ce jour-là. Lorsqu'elle avait recueilli cet adolescent désemparé, aux yeux vidés de toute émotion. Elle s'était alors hâté de l'aider à se sécher et à se réchauffer car le garçon était trempé. Elle avait sans difficulté fait le lien entre ce garçon et les sirènes incessantes qui venaient du port. L'accident venait d'avoir lieu, et elle avait alors demandé à l'inconnu si il y avait assisté. Elle avait d'ailleurs pensé qu'il avait peut-être essayé de sauver cette femme que les secours recherchaient encore dans la baie. Elle lui avait demandé son prénom, mais le garçon était resté de marbre jusqu'à ce qu'elle s'absente lui préparer une boisson chaude. À son retour, il avait disparu et à sa place trônait un misérable bout de papier, sur lequel était écrit d'une écriture frêle : Samaël.

Gwen ne l'avait jamais revu. Et la brune avait également appris avec plus de détails ce qu'il s'était passé ce jour-là. Samaël n'avait pas essayé de sauver cette femme. Au contraire. Océane Mohaara était décédée dans les eaux sombres de l'Atlantique en tentant de sauver un adolescent qui se serait jeté du haut du pont. Et seule Gwen et Owen savaient de qui il s'agissait. Car jamais personne n'avait reposé la main sur Samaël, qui semblait avoir disparu après avoir été caché par les murs de la maison de la jeune fille. Elle se souvenait de chaque détails. Elle se rappelait comme les lèvres violacées du garçon tremblaient, et comme il ne cessait de serrer sa mâchoire pour ne pas le montrer. Comme ses cheveux sombres étaient en bataille, et qu'il n'osait pas bouger la tête pour ne pas tremper la maison. Elle se rappelait du regard qu'ils avaient échangé lorsqu'elle l'avait trouvé, en train de s'enfuir, et qu'elle lui avait ouvert sa porte.

Elle poussa un énième soupir avant d'entrer dans son école. Un dernier regard jeté derrière son épaule l'informa de la présence d'une silhouette qui marchait à une centaine de mètres d'elle. Cachée par l'ombre, celle-ci la regarda passer les grilles avant de faire demi-tour.

De son côté, Aglaé eut la surprise d'avoir Owen comme voisin de classe. Sans un mot, évidemment, ils passèrent la journée côte à côte. La jeune fille avait remarqué que le garçon n'arrêtait pas de dessiner des roses, partout. Sur le coin de ses cahiers, sur le bois de sa table... Elle se pencha doucement vers lui. Il était concentré et dessinait soigneusement les pétales.

— Elle va faner...

Il lui jeta un regard interrogateur, alors qu'Aglaé réalisait que leur visages étaient bien proches.

— La rose. Elle va faner.

Elle se recula doucement, et ses doigts frôlèrent ceux d'Owen alors qu'elle prenait son stylo. D'un trait fin, elle ajouta de longues et sinueuses racines à la fleur, sans sentir le regard intrigué que posait le garçon sur elle. Il observait ses yeux bleus, qui semblaient à la fois si distants et pourtant si concentrés sur le dessin. Il la trouvait fascinante.

L'Île au BrouillardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant