1. Plus les adultes disent qu'une chose est mal, plus ça donne envie de la faire

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ILY AVAIT DES TÂCHES d'encre sur mes doigts. Des flaques de bleu sales s'étalant lamentablement contre ma peau que je regardais dans une sorte de transe. Une poignée de secondes perdues à chercher desformes dans le creux de mes mains avant de relever le visage afin de faire entrer le tableau de la classe dans mon champs de vision.

Lili parlait. Elle devait nous présenter un problème d'actualité pour le cour de français et avait évidemment choisis le sujet du moment: les Sauvages. Simple, prévisible et efficace : toute la classe fut absorbée en deux secondes par ses paroles, buvant lamoindre de ses phrases avec intérêt. Je n'écoutais déjà plus. Je n'avais rien contre le sujet que je connaissais mal mais sa voix avait le don de m'exaspérer. Du moins, c'était l'excuse que mon cerveau avait cette fois trouvée pour se déconnecter et partir dansd'autres pensées sans trop se sentir coupable. Il ne m'en avait jamais fallut beaucoup.

Mes doigts se portèrent instinctivement à mon crayon et je me mis à gribouiller sur le banc jusqu'à sentir le coup de coude d'Émile.

__Mec écoute un peu.

Après avoir poussé un faible grognement d'ours mal léché, je repoussai mon crayon et lui jetai un regard assassin qui ne sembla pasl'émouvoir le moins du monde, son attention était déjà reportéesur notre présentatrice du jour. Ce n'était sûrement pas avec ses encouragements que j'allais pouvoir devenir une grande dessinatrice.

Je regardai brièvement autour de moi. La plupart des gens de la classe étaient toujours captivés par ma camarade. Leurs visages intrigués tournés vers Lili et dénué de tout sentiments de tristesse comme si les traces de larmes des jours précédents avaient étés aspirées par la routine. Les mains tremblantes et les yeux effrayés remplacés par la détermination sereine des derniers jours avant les examens. Personne d'extérieur à l'établissement n'aurait pu sedouter du drame qui avait eu lieu une semaine auparavant. Tous avaient déjà oublié.

Mais pas moi.

Mon regard mort se balada jusqu'au premier banc à la place vide de Sarah avant de dévier ensuite vers le fond de la salle où s'était trouvée celle d'Hadrien. Deux larmes chaudes roulèrent subitement sur mes joues tendis que je levai le bras pour quitter la salle. Mes pas se firent traînant alors que - dans mon dos - je sentais la brûlure des regards de mes camarades muets. Même la voix insupportable de Lili avait cessée. Était-ce donc une bonne chose ?

***

NOUVEAU DRAME DANS UN LYCÉ FRANCAIS, c'était tout ce que les journalistes avaient trouvé comme titre pour annoncer la mort d'Hadrien dans leurs fichus journaux. Comme s'il n'était qu'une victime de plus dont il ne fallait pas se soucier. Comme si l'habitude pouvait nous faire perdre un peu de l'horreur de cette situation, la rendre plus banale, plus normale. Nous faire penser à tord que tout était sensé se passer comme ça, que l'histoire avait déjà été écrite et que nous, pauvres étudiants, n'y étions pour rien.

C'était sûr qu'il ne fallait surtout pas nous brusquer avant la session des examens. Mais Hadrien était mort et aucune de leurs paroles n'avaient rien pu y changer. Il avait quitté la terre parce que leur système était mauvais, parce qu'ils n'avaient pas pu empêcher une jeune fille de commettre l'irréparable. Et à présent, ils osaient se cacher derrière l'ordinaire. J'ai chiffonné l'article du journal avant de le jeter au sol dans une rage muette qui n'osait se manifester autrement que par des larmes.

Le 30 mai, une jeune fille âgée de 17 ans était montée sur le toit de l'école avant de tirer sur ses camarades à la sortie des cours. Il y avait eu très peu de victime, sans doute les tremblements et les doutes soudain de Sarah avaient-ils sauvés la vie à beaucoup d'entre nous. Seuls trois cadavres jonchaient le sol de la cour avant qu'elle ne porta l'arme à sa tempe pour mettre fin à ses jours sous le regard horrifié de dizaines d'élèves.

SauvagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant