5. Martin essaye de me faire croire aux fantômes

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POUR UNE FOIS, ce ne fut pas la lumière du matin qui m'éveilla. Elle aurait d'ailleurs eu bien du mal car en descendant les escaliers sur la pointe des pieds jusqu'au rez de chaussée, je remarquais qu'il faisait encore nuit noire. Un long soupir exaspéré s'échappa de mes lèvres. Décidément je ne savais vraiment rien faire d'un peu près normal. Mon ventre gargouillait comme pour me rappeler que j'avais osé lui faire sauter un repas chaud telle une malpropre. Peut-être d'ailleurs était-ce lui qui m'avait réveillée au beau milieu de la nuit afin de réclamer de quoi se remplir.

Je regardai autour de moi ; la table était débarrassée, la vaisselle faite. Il ne restait pas le moindre signe de nourriture. J'allumais la lumière pour y voir un peu plus clair. Mes yeux se dirigèrent instantanément vers la forme du réfrigérateur dans le coin de la pièce. Peut-être y avait-il des restes ? Je mourrais d'envie d'aller vérifier tout en me répugnant à agir en presque voleuse. N'avais-je donc pas suffisamment eu un comportement déplorable aujourd'hui ?

Je me demandais si Alia était au courant de la situation du vieil homme. Peut-être avait-elle espéré que ce scénario se produisit ? La jeune fille était de loin la personne la plus innocente que je connaissais, si elle avait pensé à ça je ne devais sans doute pas m'en vouloir de profiter ainsi de ce refuge. Je me convaincu de cette idée avant d'avancer vers le frigo.

__ T'es pas vite gênée !

La voix de ce type commençait sérieusement à m'insupporter. Il avait toujours le chic pour apparaître aux moments les plus délicats.

__ J'ai faim.

C'était l'excuse du siècle. Je soutins le regard de Martin.

__ Et grossière avec ça.

__ Mais qu'est-ce que je t'ai fais pour que tu sois si désagréable avec moi, bon sang !

Chose inattendue : Martin baissa le regard. Il se dirigea ensuite vers le frigidaire afin d'en sortir une assiette toute prête qui ne semblait attendre que moi. Il la passa au micro-onde et je gardai les yeux fixés sur mes pieds, soudainement gênée par le blanc qui venait de s'installer entre nous.

Finalement sous ses petits airs antipathiques, il était loin d'avoir autant d'assurance qu'il le prétendait au premier abord et ce n'était pas vraiment pour me déplaire. Je profitais de cet instant de faiblesse de sa part pour renfoncer plus profondément mon couteau dans sa plaie.

__ T'es devenu muet ?

C'était que moi aussi, je devenais sacrément désagréable mais à sa différence, je m'en fichais royalement. Pour moi, il n'y avait qu'un coupable dans cette pièce et c'était lui. Toujours silencieux, Martin posa l'assiette sur la table devant moi et je m'y assis. Soupirant, je me dis que j'étais tout de même bien irrespectueuse de le traiter comme ça alors que malgré nos petits accrochages et sa tentative pour me faire partir à mon arrivée, il s'était jusqu'alors plutôt bien occupé de moi.

__ Merci...

Ce semblait être à mon tour de baisser cette barrière d'hostilité nouvelle qui ne me ressemblait pas. Le garçon alla jusqu'à me servir un verre d'eau et me prendre des couverts avant de s'asseoir à côté de moi. Sans penser un seul instant que son regard aurait pu me gêner, j'entrepris de faire un sort à mon assiette pour qu'il n'en reste plus rien. Les repas chauds c'était quand même une invention de luxe. Une fois mon repas terminé, je me laissais basculer contre mon dossier en lâchant un soupire de satisfaction, oubliant complètement toute la politesse qu'on avait essayé de m'apprendre depuis toute petite. Martin quand à lui avait retrouvé l'une de ses occupations favorites semblait-il : l'analyse de ses pieds.

Se soustrayant de cette passionnante observation, il releva la tête vers moi, sentant sûrement que j'étais à deux doigts de lui lancer une nouvelle remarque bien désagréable.

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