Débutant sur un prélude musical, sur une longue mélopée rêveuse qui, aussi puissamment que la première phrase du récit d'un narrateur talentueux qui en quelques mots pose un tableau, un décor ou une époque invitant le public à commencer son voyage, parvint à installer en quelques notes une atmosphère sacrée et contemplative. La mélodie, libre, lente, contemplative, était construite sur un air simple, mais orné de fioritures mélodiques irrégulières et imprévisibles, qui donnait une impression de naturel et d'improvisé aux phrases musicales. Le musicien se tenait dans la mer, les vagues venaient lui lécher les jambes. Il jouait dans un étrange instrument fait d'une hanche double en bois fixée à un long conque. Le son était grave et profond, il évoquait un son boisé, enrobé d'échos ronds et caverneux, qui donnaient une résonnance presque aquatique. C'était comme entendre un arbre chanter sous l'océan.
Et tandis que sa phrase s'arrêtait en suspens, soutenu par de régulier contre-chant des vagues au phrasé plus épuré, chacun dans le public regardait loin devant lui la mer sous le ciel bleu.
Puis, lorsque tout le monde eut écouté l'océan respirer, commença le premier tableau. Il vint de la terre des danseuses, aux pas, étrange, ondulé, presque mystique, soutenue par de longues mélodies jouées au kokyū*, entraînant avec elles des jeunes garçons nus. La musique gagna en violence tandis qu'un sorcier au visage caché derrière un masque en bois peint, vêtu de vêtement aux longues manches, tout couvert de grelots et de cymbalettes, sautait sur place pour produire du bruit comme une maracas vivante, jouait au tambour en cognant sur une peau animale tendue dans un cadre fixé à son poitrail, tout en brandissant un serpent de mer qu'il tenait par le cou. Lorsque les prêtresses eurent par la suite habillé chaque jeune garçon d'un attushi doré et bleu, ceux-ci gagnèrent leur place parmi le public qui continuait de regarder la mer sous le ciel au-dessus d'eux, sans nuages, qui se teignait de quelques touches d'ocre.
Le second tableau mettait en scène une bataille navale simulée. Des hommes embarquèrent dans de grandes pirogues chargées des produits de la pèche de la journée. Ils s'éloignèrent de quelques dizaines de brasses du bord de l'eau puis, au milieu de la baie, après une longue minute à se faire face, ils engagèrent un brusque combat, simulant une guerre navale en envoyant leurs pirogues les unes contre les autres, en tamponnant leurs adversaires et en lançant sur eux des javelots. Plusieurs hommes firent semblant de périr et restèrent à flotter à la surface de l'eau, secoués par les remous que leur violente mise-en-scène avait causée.
La pirogue victorieuse de cet affrontement chorégraphié s'éloigna du rivage, et débarrassée de ses concurrents affronta seule la houle pour s'éloigner. Lorsqu'elle ne fut qu'un petit point noir au milieu de l'océan, elle coula, et les produits de la pèche regagnèrent le royaume sous-marin, en offrande à Peconchiko-kamui.
Les vagues ramenèrent sur la rive les autres pirogues, et les faux cadavres qui les jonchaient se relevèrent les uns après les autres pour regagner le public qui les applaudissait à tout rompre, sous le ciel rougeoyant au-dessus d'eux, toujours sans nuage.
La Sœur de Peconchiko-kamui à côté d'Hoyio dit à l'enfant :
— Regarde, ça va maintenant être la danse sacrée des prêtresses.
Et en effet, comme la Grande Prêtresse parlait, le troisième tableau commença. Les trois prêtresses aux chevelures verte, rouge et jaune respectivement, qui étaient restées sur le devant de la scène se levèrent, et agitèrent langoureusement les bras comme pour imiter les tentacules d'une algue marine que les eaux font onduler. Elles dansaient sans se déplacer, sans même bouger leurs pieds du sol. Hoyio vit qu'elles avaient profité que l'attention du public soit détournée lors du tableau précédent, pour s'ensabler jusqu'au bas des mollets sans être vues.
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La Cité aux Mille Cerisiers
AdventureLes Premières Aventures du Petit Intrépide Akemi Kirosake (1/3) Hoyio n'est pas encore vieux et vénérable, puisqu'il n'a guère plus de sept ans. Il n'a jamais quitté sa demeure, et n'envisage pas de le faire. Pourtant, lorsqu'on le contraindra à qui...