La Cité aux mille cerisiers (1/2)

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Huit jours au total avaient passé depuis la rixe de la ville de Boshatari, et il ne restait à manger guère plus que deux porcelets lorsqu'Osawashi et Hoyio passèrent la frontière entre les provinces de Yusaka et de Numeho. Les plateaux de champs cultivés traversés par de grandes routes rectilignes étaient devenus de vastes plaines vallonnées, sur lesquelles au lieu de terrains cultivés on voyait de grands pâturages, des basses-cours et des étables, parfois des bois plantés de main d'homme, aux arbres d'une variété homogène, et aux troncs alignés comme des petits soldats. Le tracé de la route épousait le relief des terres, et se faisait donc plus sinueux. Mais si ces méandres pouvaient ralentir le voyage, la qualité de la route pavée compensait ce désavantage, de sorte que le chariot ne progressait pas moins vite dans cette province que dans celle de Yusaka.

Au-dessus de l'horizon vallonné, s'élevait un mont. Osawashi l'indiqua à Hoyio, le désigna comme le mont Tusīkōtei et lui expliqua que le mont constituait non seulement un point de repère pour gagner Numeho, car la grande cité de l'Empire était construite à son pied, mais aussi qu'il constituait un lieu sacré, siège spirituel du kami Amaterasu. Osawashi annonça qu'il envisageait d'y faire un détour avant de regagner la ville, car il y avait bien longtemps qu'il ne s'y était pas recueilli, et il lui tardait de sentir à nouveau la présence de Amaterasu. Dans l'après-midi, le mont ne cessa de grossir dans leur champ de vision, et le soir, derrière les collines non loin de son flanc Ouest commençait à apparaître le sommet de tours dorées, qu'Osawashi présenta comme le sommet du palais de l'Empereur, surplombant la Cité.

A mesure qu'Osawashi et Hoyio s'avançaient, la route de Numeho se faisait de moins en moins désertes. Des voyageurs à pied marchaient tranquillement sur le bas-côté. Ils affichaient de la méfiance lorsqu'ils entendaient le chariot d'Osawashi arriver dans leur dos, certains allant même jusqu'à quitter la route pour se cacher dans des bois ou des champs, n'en sortant qu'après que le chariot les ait dépassés et soient loin devant sur la route. Des agriculteurs qui faisaient paître leurs troupeaux de moutons forçant parfois Osawashi à s'arrêter et à attendre patiemment qu'ils aient quitté la route, étaient visiblement armés pour la plus grande part d'entre eux, et se tenaient ouvertement sur leurs gardes au passage des voyageurs, se préparant à riposter si Osawashi s'avérait animé d'hostiles intentions. Tant de méfiance et de nervosité chez tous les voyageurs qu'ils croisaient ne manquaient pas d'étonner Osawashi. A chacune de ces rencontres, le vieil homme ne recommandait pas moins de sept fois à Hoyio de ne pas révéler qu'ils étaient des seigneurs Kaan, et Hoyio ne promettait pas moins de sept fois de faire attention.

La veille de leur arrivée à la capitale, ils ne trouvèrent plus que des voyageurs assis sur le bord de la route, ayant visiblement abandonné leur marche, désespérés de pouvoir aller plus loin. En voyant l'un de ces hommes assis sur le bas-côté, à côté d'une femme en pleurs, Osawashi après avoir une nouvelle fois fait promettre à Hoyio de ne pas leur révéler leur appartenance au clan Kaan, arrêta son chariot, et les héla :

« Que vous arrive-t-il, voyageurs ? »

La femme, trop occuper à pleurer, ne l'avait ni vu ni entendu approcher. En l'entendant les interpeler, elle sursauta, prit peur, se leva d'un bond, et se tint prête à se défendre ou à s'enfuir. L'homme par précaution saisit discrètement un solide bâton qui gisait dans l'herbe à ses côtés, et se redressa. Il demanda à Osawashi ce qu'il voulait.

— Aucun mal, rassurez-vous, répondit Osawashi. J'aimerais comprendre ce qui vous arrive, et pourquoi tous les braves voyageurs que je croise sur ma route semblent être pris du même désespoir que vous.

L'homme, sans cependant lâcher son bâton, se radoucit quelque peu, rassuré par les intentions d'Osawashi, et sans doute également par la présence d'un enfant à ses côtés qui le mettait un peu plus en confiance.

La Cité aux Mille CerisiersWhere stories live. Discover now