Le sanctuaire de Tsukuyomi (3/3)

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Osawashi sortit de la tente sous l'averse. Il leva les mains au ciel, pour mieux sentir physiquement la pluie, et ainsi, mieux apprécier le miracle qu'elle représentait. Il détendit la ceinture pour desserrer les pans de son attushi, et laissa la pluie tremper son torse sous son vêtement. Il respira profondément, comme pour se purifier les poumons.

« Pourquoi faites-vous cela ? demanda Hoyio. Moi je n'aime pas la pluie.

— Alors laisse la sensation t'envahir, dit le vieil homme. Tu ne peux pas réduire au silence une sensation désagréable, mais tu peux t'entraîner à l'ignorer. »

Hoyio s'avança hors de la tente, et fit de même. Il tressaillit, puis se força à demeurer sans bouger. Ses muscles se glaçaient et sa peau gelait. Il sentait sa toge adhérer à sa peau, et ce contact humide le faisait encore plus frissonner. Les gouttes d'eau ruisselaient le long des mèches de ses cheveux et tombaient dans ses yeux malgré la barrière insuffisante de ses cils et sourcils trop peu fournis, et il ne put se retenir de souffler de la bouche pour empêcher les torrents d'eau d'y entrer. Son pied droit, qui était nu, s'enfonçait dans le sol humide, jusqu'à en être chaussés jusqu'aux chevilles, tandis que son autre pied, bien que chaussé d'une geta abimée, s'enlisait aussi petit à petit. Rien d'agréable, et rien qui facilite son travail pour apprendre à ignorer ses sensations. Il eut envie d'éternuer, mais il se retint. S'efforçant d'observer devant lui, sur cette plage devenue vide, il ne voyait plus qu'Osawashi qui se tenait aussi immobile qu'un roc, un roc qui inspire et expire doucement de l'air, un roc qui ne se laissait pas ébranler par les bourrasques de vent ni par le battement de la pluie sur lui, ni par le froid. Un roc qui se retourna vers l'enfant, et lui dit : « Allons-y, suis-moi. »

Le vieil Osawashi traversa la plage de sable imbibé d'eau, en direction de l'escalier qui fendait les falaises pour quitter la crique. Hoyio le suivit, et monta derrière lui les marches. Osawashi montait d'un pas plus assuré que celui d'un jeune homme, et Hoyio, qui marchait prudemment de peur de glisser sur une marche trempée et de dévaler tout l'escalier jusqu'au bas de la falaise, se laissa distancer par le vieil homme. Lorsqu'il atteignit enfin le sommet de la falaise, il vit que Osawashi s'était arrêté pour l'attendre.

— Eh bien mon enfant, il te faut apprendre à être plus vigoureux. Nous avons encore une petite marche jusqu'à la forêt.

« La forêt ? Pourquoi ne rentrons-nous pas au village pour nous abriter de la pluie et nous reposer après cette journée ? J'ai mal aux chevilles depuis ma longue marche de ce matin. » pensa Hoyio, mais il ne dit rien car il était poli.

Sans attendre d'avantage, Osawashi s'élança à travers les dunes, dans la direction opposée à celle du village. Hoyio n'eut d'autre choix que de le suivre, en pressant le pas pour ne pas se laisser distancer. Et leur route s'éloignant de la côte s'enfonça dans la forêt. Dans la nuit, les racines des arbres se confondaient aux herbes. Hoyio avait beau s'épuiser les yeux à essayer de les voir à temps, il trébucha pourtant à plusieurs reprises. Il était tour à tour baigné dans la boue, puis rincé par la pluie, et son vêtement s'agrippa plus d'une fois à des branches crochues qui le lacérèrent. Osawashi ne l'attendait pas, il marchait à son aise en fendant la forêt, et il paraissait que les branches semblaient s'écarter devant lui, comme si la forêt, intimidée, le laissait simplement passer. Il progressait si vite qu'Hoyio le perdit de vue, et dût accélérer l'allure. L'enfant l'appela pour être sûr d'être dans la bonne direction, mais n'eut pas de réponse. Il vit alors sur le côté la lumière de la lune pleine, traverser les arbres sans être occultée par la canopée, et Hoyio décida de se diriger vers cette lumière, espérant que ce qu'il voyait là était la lisière de la forêt.

Il déboucha dans une vaste clairière. Le tapis d'herbes et de mousses gorgées d'eau, doux à ses pieds, reflétait la lumière de la lune et donnait à toute la clairière un scintillement d'argent féérique. Un rideau de gouttelettes argentées de pluie se déversait continuellement comme des cotillons, et chaque goutte éclatait en de minuscules bouquets d'argent lorsqu'elle percutait soit le sol, soit les épaules d'Osawashi qui se tenait plus loin, soit l'amas de rochers qui s'élevait au cœur de la clairière.

La Cité aux Mille CerisiersWhere stories live. Discover now