1 • Nuit noire

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J'ai passé ma nuit à pleurer.

C'est peut être un peu brusque comme phrase d'introduction, mais après tout, qu'est-ce que j'en ai à faire ?

Les seuls sons qui sortaient de ma gorge étaient des sanglots et de pathétiques cris. Le genre de cri qui n'a aucun sens, qui sert juste à s'abîmer la gorge. Le genre de cri qui libère un peu la douleur, du moins le croit-on. Le genre de cri qui sort sans même que l'on s'en rende compte. Le genre de cri qui fait transparaître le désespoir.

J'ai tant pleuré que j'ai fini par en oublier la raison. Quoique, non. On les oublie pas longtemps ces choses-là. Elles me sont revenues dans la gueule bien assez vite. Et j'ai recommencé à pleurer. Après tout, j'avais que ça à faire. J'arrivais pas à dormir. J'avais tout essayé pourtant.

La musique calme. L'eau froide sur les poignets. Le yoga. Bosser. Lire. Boire du lait chaud. Se tourner dans son lit. Penser à un peu tout et n'importe quoi. Se retourner dans son lit. Encore penser. Se tourner, encore une fois, dans son lit. Trop penser. Et, hop, ça déborde. Mince alors !

Voilà ce qu'on gagne à trop penser. La fatigue n'aide pas non plus je dois avouer. Et puis, ils sont drôles les gens. "Il faut dormir la nuit." J'aimerai bien. De toute façon, ce n'est pas une question de sommeil. En dormant, je ne repose pas mon âme, je ne repose pas mon esprit. C'est ça le principal problème. Comment on les repose ces choses-là ? Ils sont trop actifs pour mon bien.

Le fait que j'ai commencé à me taper le front contre un des murs de ma chambre ne m'a pas aidé à évacuer, malheureusement. Je voulais juste que ça s'arrête. Je n'en pouvais plus de penser. "Je pense donc je suis." Descartes a dû oublier quelques mots. "Je pense trop donc je suis à bout" semble plus véridique, plus fidèle à la réalité. À ma réalité.

J'ai jamais été très émotive. Toi, petit lecteur, tu dois te dire que l'auteur passe du coq à l'âne. C'est peut-être vrai. C'est sûrement vrai. Au pire je m'en fous. Le truc c'est que ça m'a fait un choc quand j'ai éclaté en sanglots. Pas un choc comme une bonne surprise. Un choc qui te fait te dire "je suis encore plus pathétique que ce que je pensais". Bien sûr que tu l'es dans ces moments-là. Mais ça ne fait pas pour autant plaisir de s'en rappeler.

Quand t'es pris dans une crise de larme nocturne qui ne veut pas s'arrêter, tu te rends compte que c'est grave. Surtout quand tu n'en as pas l'habitude. Tu déchantes quand tu vois que c'est un beau bordel dans ta tête. Tu crois que ça va.
"Ça va" c'est la réponse rapide à "ça va ?". Tu vas pas bien, tu vas pas mal. Ça va. Parfois tu l'agrémentes d'une plainte légère. "-ça va ?" "un peu crevée mais ça va". (notez que "un peu" et "crevée" sont à des degrés d'intensité différents et que c'est donc une figure de style dont je n'arrive plus à me rappeler le nom)
Dans tous les cas, ça va.
Et tu réalise que pas du tout. Que t'es perdu. Que tu ne sais pas quoi faire. Que tu ne sais plus distinguer le positif du négatif. Que tout ce que tu peux faire sur le moment c'est essayer d'évacuer en pleurant et en criant à gorge déployée.

Évacuer quoi ? Du vide. Je ne ressentais que du vide à cet instant. Le vide de trop. Comme si je ressentais tant d'émotion que j'avais décidé de toutes les effacer. En fait non. Mon esprit les avait effacées. Ce cher esprit qui prend un peu trop de liberté. Il s'étonne d'être en sur-régime après.

Je déraillais un peu cette nuit. Je crois que je suis une personne anxieuse. J'ai peur de l'avenir, je ne veux pas affronter le présent et le passé me hante. Quel horreur. J'ai peur de la vie. Quel bordel. C'est un peu comme avoir peur de respirer. Un peu comme si chaque bouffée d'air était un peu plus douloureuse. Un peu comme si tous les regards que tu croisais te forçais à baisser les yeux. Un peu comme si, chaque fois que tu prenais la parole, tu te rappelais un peu plus pourquoi il valait mieux que tu te taises.

Mais c'est seulement un peu comme ça, parce qu'en réalité c'est dix fois pire, cent fois pire, mille fois pire. C'est toutes ces situations, en même temps, fois dix exposant dix.

Et tout ça, tous ces paragraphes, toutes ces phrases, tous ces mots, toutes ces lettres, ce n'est même pas complet. C'est le résumé des raisons qui m'ont poussée à pleurer ce soir-là. Ce sont les grosses lignes des raisons qui m'ont faite crier. Crier fort. Crier à grosses larmes. Crier en désordre. Hurler à m'en briser la voix. Hurler à torturer mon esprit. Hurler à vivre.

J'ai passé ma nuit à pleurer.
Et, il me semble que, ça n'a servi à rien.

(excusez-moi auprès de mes voisins pour le bruit.)

Le cri Où les histoires vivent. Découvrez maintenant