2 • Bleu triste

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« Eh, Tommy, viens. »

On était à une soirée assez banale. Quelques potes, un peu de musique, pas mal d'alcool. J'étais arrivé il y avait un peu moins de trois heures mais certains étaient déjà torchés. Honnêtement, je ne pouvais pas leur en vouloir. Y avait vraiment rien d'autre à faire que boire, ici. Une chose, peut-être, sauvait cette fête transformée en preuve de l'alcoolisme infantile.

Newt.

« Ouais, j'arrive. »

Newt c'est le genre de personne qui n'a besoin d'aucune substance pour être perché.
On connaît tous l'expression "être dans les nuages" ou "être dans la Lune". Newt était plus loin que ça. Newt était dans Mercure, dans Saturne, dans Neptune. Newt était dans une autre galaxie. Mais, dans la lumière du luminaire qui baignait cette simple maison terrienne, qu'est-ce que Newt était beau.

« Tu t'amuses ? »

J'aurais aimé pouvoir. Mais ce n'était pas le cas. Les gens étaient trop nombreux, la musique trop bruyante, l'alcool trop fort, la lumière trop intense.
Il n'y avait que lui qui valait le coup. Que lui qui ne paraissait pas de trop. Newt était seul, des écouteurs dans les oreilles, du jus d'orange à la main et des lunettes de soleil sur le visage.
À contre-courant de cette fête de pacotille, Newt semblait en être une parodie.

« Pas vraiment... »

Il but la fin de son verre d'une traite et regarda l'heure sur son téléphone portable. Il soupirait longuement tandis que je l'observais, sans réussir à définir à quoi il pensait. Il me regarda scrupuleusement, du moins le supposais-je car ses lunettes et ses cheveux cachaient ses yeux, et me sourit légèrement.

« Moi non plus. Allons dehors. »

Dehors était une forêt. La maison dans laquelle nous nous trouvions précédemment était au bord d'une grande forêt remplie de sapins, de chênes et d'autres sapins. Nous nous sommes enfoncés dans celle-ci, moi suivant Newt qui semblait savoir où il allait.
Nous avons marché un moment, calmement, sans parler. Ce n'était pas un silence pesant, il était même plutôt rassurant, en quelques sortes. Les seuls bruits étaient ceux de nos pas et du sifflement du vent dans les arbres. Nous arrivâmes dans une clairière aux mêmes dimensions qu'un studio à un prix abordable à Paris. Autant dire minuscule. On s'asseyait sur une sorte de tronc d'arbre au sol.

« T'as bu. »

À quoi bon nier. Ce n'était même pas une question. C'était un fait, une affirmation. Il savait. Je n'étais même pas sûr qu'il attende une réponse et pourtant, en tournant mon regard vers le ciel, j'ai dit :

« Oui. »

Il tourna son visage vers moi et je le sentis m'inspecter. Je cherchais ses yeux du regard et, une fois trouvés, ne les lâchais plus. J'étais comme en transe, ses pupilles sombres effaçant tout ce qui se trouvait autours de nous. Mon rythme cardiaque s'accéléra légèrement, et mon souffle saccadé semblait emplir de bruit la clairière.

« T'es un désir violent, Tommy. »

Ma respiration se coupa un instant et mes yeux se posèrent sur ses lèvres avant de remonter sur ses yeux qui continuaient de me fixer. J'étais perdu tant dans ses iris brunes que dans mes pensées. Je n'étais pas sûr de ce qu'il attendait comme réaction.
Néanmoins, je me suis penché, doucement, vers lui. Nos visages se rapprochaient lentement et, tandis que nos lèvres n'étaient qu'à quelques centimètres, Newt posa délicatement son pouce sur les miennes et se recula légèrement.

« Je fais pas dans le cliché. »

Tout d'abord troublé par son comportement, je m'éloignais de lui, fulminant. Je me détournais du blond, me sentant humilié. Je ne remarquais même pas les gouttes de pluie qui commençaient à tomber et l'eau me dégouliner dessus. J'étais comme bloqué dans le temps, reprenant petit à petit une respiration normale. Que venait-il de se passer ?

« Eh, Tomtom ? »

Je secouais la tête avant de répondre, plus sèchement que je ne l'aurais voulu :

« Newt. »

« Écoutes, faut pas le prendre personnellement. C'est juste pas mon truc. Embrasser un mec dans la forêt, sous la pluie, la nuit alors qu'on vient de s'échapper d'un soirée chiante pour essayer de s'amuser tous les deux. C'est juste... je sais pas... trop... »

« Cliché ? C'est une excuse de merde ça, Newt. »

Je m'étais relevé et essayais de capter son regard alors que ses yeux papillonnaient, faisant tout pour ne pas croiser les miens.

« Newt. T'es un cliché ambulant, j'espère que tu le sais. »

Il releva alors le visage vers moi, semblant ne pas comprendre.

« Tu fais en sorte d'être à l'opposé de tout le monde, tout le temps. T'es qu'une parodie, une blague. T'es une grosse blague, merde. Alors si tu penses faire plus cliché que ta propre existence en m'embrassant, tu te fourres le doigt dans l'œil. Putain ! »

J'avais haussé le ton tout au long de mon monologue et avais fini par crier le dernier mot de ma tirade. Newt s'était levé à son tour et se tenait maintenant face à moi, gêné.

« Embrasse-moi, Newt ! »

J'avais posé mes mains sur ses joues avant de lui balancer ça à la gueule. J'ai ensuite collé nos fronts ensemble et fermé les yeux, avant de lui chuchoter :

« Embrasse-moi. »

Tous l'alcool que j'avais ingurgité devait me mener là. La discussion que j'ai eu avec lui dans la maison devait me mener là. Le suivre inconsciemment dans les bois devait me mener là. Le rhume que je vais me chopper à cause de la pluie devait me mener là. Toute cette soirée, ce temps considéré comme perdu devait me mener à ce moment. Et j'eus à peine le temps de m'éloigner de quelques centimètres qu'il me rapprocha de lui, plaquant ses lèvres aux miennes. La seconde pensée que j'ai eu, juste après "il était temps", ce fut "bordel, y a vraiment pas plus cliché". Mais bon. Je crois que je m'en fous.

Lorsqu'on s'est détachés l'un de l'autre, de nombreuses secondes plus tard, à bout de souffle, les cheveux trempés, j'ai regardé l'heure.

00:03

J'ai commencé à chanter, doucement :

« It's a new dawn »

Newt compris vite ce que je faisais et compléta les paroles, plus fort :

« It's a new dayyy »

Et nous criâmes en coeur :

« It's a new liiiiife, for meeee »

Alors qu'il rigolait joyeusement, en me regardant avec des yeux brillants, je me rapprochais de son oreille avant de lui souffler :

« And I'm feeling good... »

Et merde, je crois que je suis tombé amoureux, ce soir là. Ou peut-être était-ce tous les soirs d'avant. Parce que vous savez, Newt, il est exceptionnel. Il n'a pas besoin d'être comme les autres pour être un cliché. C'est la seule personne avec qui tu peux chanter du Muse, sous la pluie, à minuit passé alors qu'il y a une fête cent mètres plus loin. C'est la seule personne avec qui tu peux t'allonger dans la forêt pour observer le bleu du ciel nocturne. Un bleu gris. Un bleu orageux. Un bleu triste.
Un bleu qui, ce soir-là, ne me reflétait pas.

••• ... ••• ...
Euh j'ai utilisé les personnages de James Dashner. Mais c'est un AU donc je sais pas si c'est utile de le préciser haha. Voilà voilà

Le cri Où les histoires vivent. Découvrez maintenant