5 • Un jour de plus

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[ Je n'arrive pas à comprendre. Tu peux m'expliquer ce que tu as ressenti ?

Je peux le mettre par écrit ? J'arrive pas vraiment à l'exprimer à l'oral.

Bien sûr, tu me fais ça pour la prochaine séance ?

No problemo. A la semaine prochaine, du coup. ]

Bon. Voilà comment je me retrouve à écrire sur cette feuille déchirée, extraite de mon cahier d'anglais.
Qu'est ce que j'ai ressenti exactement ? C'est compliqué.
Ça faisait des jours que j'étais sous pression. Je savais même pas pourquoi. Juste l'impression qu'on en attendait trop de moi.
Je me sentais perdue. C'est fou de ne pas reconnaître son chemin dans un endroit qu'on connaît comme sa poche. J'avais vraiment l'impression d'être entourée d'inconnus, de marcher à l'aveuglette.

Ça se voit pas vraiment mais je suis quelqu'un de stressé. Le plus petite chose va me faire remettre toute mon existence en cause. Une situation un peu perturbante et je perds tous mes repères.
C'est sûrement ce qui est arrivé. Un léger changement, je n'arrive même pas à définir lequel. J'ai tout perdu.

Un coup de stress, probablement. Qui a duré des semaines. Et des semaines.
Chaque matin, je me réveillais avec le cœur douloureux tant il battait fort. Chaque jour je peinais à respirer à cause de ma gorge serrée. Chaque soir je tentais de pleurer pour me vider de mes émotions.
En vain.

Ça vous est déjà arrivé de perdre de l'intérêt pour quelque chose qui vous passionne de base ? J'ai perdu de l'intérêt pour tout ce qui me plaisait plus ou moins. Ma chambre me semblait remplie de choses inintéressantes, inutiles. Je devais me forcer pour faire quelque chose que j'appréciais.
Même manger.
Chaque bouchée que je me forçais à avaler, l'une après l'autre, me donnait envie de vomir. Je considérais la faim comme un passage obligatoire de ma journée, tant je ne mangeais rien par peur de régurgiter. Et quand je mangeais, pas seulement quelques bouchées, quand je mangeais vraiment, je culpabilisais.
Une voix dans ma tête qui me rappelais que je n'aurais pas du manger autant. Que je ferais mieux de vomir et de tout vider. De repartir avec un estomac sain, vide, propre.
C'était même pas une question de poids. Enfin, peut-être au début. Mais maintenant je ne pouvais plus. J'étais incapable de manger assez pour mon bien. Je résistais à l'envie de vomir, comme je pouvais. C'était déjà assez.

Vous voyez la flemme qui vous envahit de temps en temps ? L'envie de procrastiner ? Je l'avais tout le temps. N'importe quelle excuse était valable pour reporter tout au lendemain. Même me doucher était devenu un défi que je me forçais à relever, soir après soir.
La solitude aussi. C'était récurrent, présent, ça m'assaillait à tout moment. Entourée comme seule. Je me sentais comme au fin fond d'un trou duquel personne ne pourrait me sortir. Je regardais la scène de loin. J'étais spectatrice de ma propre existence. Et je gueulais aux gens de m'aider. Ils savaient pas. Ils me regardaient pas, m'écoutaient pas.

Je rayonnais plus. Je le sentais. Je veux dire, vraiment. J'ai toujours eu comme habitude de sourire, ça signifiait tout. Ça montrait que j'étais pas fâchée, que je rigolais, que j'étais contente, qu'il fallait pas me prendre au sérieux. Et mon sourire est devenu faux. Il se fanait plus vite. Il se signifiait plus qu'une chose. 'Ne vous inquiétez pas pour moi.' Ça aussi c'était faux. En réalité c'était plus un mélange de 'je vais m'en sortir' et que 'je ne veux pas en parler'. Mais à quoi bon le préciser, tout le monde s'en foutait.

Je relativisais plus. Je voyais tout au plus mauvais.
Je voyais plus le futur. J'arrivais pas à m'imaginer ne serait-ce que la minute d'après. J'étais encrée dans le présent. Dans le passé. Pas dans le futur. Et quand on me demandait mes projets pour mon avenir, je ne faisais que répéter ce que je disais depuis cinq ans. Parce que j'en avais été si convaincue à une époque. J'en savais plus rien maintenant. J'étais perdue.

Je me disais que, si je n'arrivais plus à m'imaginer plus tard, c'était sûrement qu'il n'y avait pas de plus tard pour moi. J'ai commencé à compter les jours durant lesquels j'avais survécu. Durant lesquels j'avais résisté.
Je me suis jamais mutilée. J'ai jamais fait de boulimie. J'ai jamais fumé. J'ai jamais pris de drogue. Je me suis jamais bourré la gueule pour oublier.
Je continue à résister parce que si je commence, qui sait si je pourrais m'arrêter ?

Alors j'ai commencé à crier. Avant c'était de temps en temps, pour évacuer un peu.
C'était quand j'étais seule, que personne ne pouvait le remarquer.
Maintenant, c'est en permanence. J'ai constamment une voix, quelque part, dans mon esprit, qui hurle, qui essaie de couvrir toutes les autres voix, toutes les autres pensées. Elle y arrive pas hein, mais elle en anesthésie quelques-unes. Parfois ça m'arrange. Pas toujours.
Je peux plus rien y faire. J'ai l'impression de plus la contrôler.
On a comme inversé les rôles.
Alors, quand elle m'a dit de sauter, c'est ce que j'ai fait.

Vous comprenez ?

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C'est giga sombre mdrrr qu'est-ce qui m'a pris ??
Bref, have a good dayyy 🌻

Le cri Où les histoires vivent. Découvrez maintenant