Chapitre 3

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- Salle de conférence n°1.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent avec un léger chuintement. La salle était immense. Un gigantesque amphithéâtre en forme d'hémicycle, débouchant sur une estrade vide. Et sur les centaines de sièges, les scientifiques les plus éminents de la station, les esprits les plus brillants de notre civilisation, attendaient le début de la cérémonie.

Ils m'attendaient moi.

Je sentis soudain le trac m'envahir. Personne ne semblait m'avoir encore remarquée, je pouvais toujours m'enfuir en courant. J'hésitais à opérer un repli stratégique, lorsque j'aperçus un visage familier.

Assis au premier rang, entre ses deux greffiers, mon père fixait le mur face à lui, droit comme un I.

Je ne pouvais pas partir. Il pensait que je n'avais pas ma place ici ?

A moi de lui prouver le contraire.

Je passai une main dans mes cheveux, arrangeant une boucle récalcitrante et vérifiant que j'étais présentable, puis je m'avançai dans l'allée qui coupait la pièce en deux. Aussitôt, des applaudissements commencèrent à retentir partout autour de moi, en même temps que Johanna Wilcraft s'approchait des escaliers pour m'accueillir.

Au moment où j'arrivais à son niveau, je jetai un œil à la rangée de sièges à ma droite. Mon père regardait toujours droit devant lui et ne m'accordait pas un regard. Je montai donc sur la scène à la suite de la directrice sans plus me soucier de lui, et pris l'Amplificateur qu'elle me tendit. Je le plaçai dans mon cou, prête à commencer.

- Bonjour à tous, mes très chers collaborateurs! Je vous remercie d'avoir aménagé votre emploi du temps très chargé pour venir souhaiter la bienvenue à notre nouvelle collègue, la très talentueuse biologiste, Mademoiselle Cléïs Jones!

De nouveaux bravos fusèrent. Après avoir ramené le silence sur la salle, Mme Wilcraft poursuivit:

- Mais le Docteur Jones n'est pas seulement la nouvelle recrue du Département Biologie. Elle est aussi, et surtout, la plus jeune à avoir accédé à un poste dans notre Institut dans sa discipline, à tout juste 29 ans!

Elle poursuivit par un étalage de mon "exceptionnel" cursus et par des remerciements à mon père, que je n'écoutais que d'une oreille distraite. Je pensais à ma mère. J'espérais de tout mon cœur que, là où elle était, elle était fière de moi. "Je suis là où toutes les deux, nous avons toujours voulu que je sois. J'ai réussi, Maman!"

- Je vais à présent laisser la parole au Docteur Jones.

Je sursautai lorsque j'entendis ces paroles. Je m'approchai lentement du bord de l'estrade, m'efforçant de ne pas laisser transparaître mon appréhension. Qu'allais-je bien pouvoir leur dire? "Hey, salut, ça gaze?"? "La plupart d'entre vous sont mes idoles de jeunesse, même si ce sont maintenant de vieux croûtons grabataires!"? Je commençai à paniquer devant ces visages tournés vers moi, suspendus à mes lèvres. Je n'étais pourtant pas de nature timide, mais j'avais l'impression qu'ils me jaugeaient du regard, évaluant ce que ma cervelle pouvait bien valoir.

Et en cet instant, c'était très simple, elle ne valait absolument rien. J'avais beau me creuser les méninges, pas moyen de trouver quoi que soit d'intelligent à raconter. La directrice s'impatientait, l'assistance s'impatientait, et j'étais là à prendre racine dans un silence de plus en plus gênant. Je me trouvais tellement stupide! Pourquoi n'avais-je pas pensé à préparer un discours?! J'avais été bien trop occupée à m'extasier comme une gamine, au lieu de rester professionnelle!

N'ayant plus vraiment le choix, je me mis à parler :

- Bonjour à tous. Je... Eh bien, je... Je vais être honnête, je ne sais clairement pas quoi vous dire. J'ai appris que ma demande était acceptée il y a seulement une heure, à cause d'un drone de la Compagnie des Livraisons qui avait dû confondre mon adresse avec celle d'un habitant de la galaxie d'Andromède.

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