Affras l'Intemporelle

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Walter

Ses yeux s'ouvrirent, et la lumière était déjà vive et lourde. Heureusement, aujourd'hui, il commençait à midi.

Ses pupilles encore endolories se promenèrent autour de lui, à la recherche de ce satané réveil qui faisait mal son job. Il manquait à l'appel sur la table de chevet, pourtant son lieu de résidence habituel. Dans un grognement exténué, il fit basculer son corps encore tout endormi pour regarder au pied de son lit. Tout comme lui, son réveil faisait grasse matinée et restait affalé sur le sol.
D'un geste mou et sans volonté, son bras s'empara du petit boîtier métallique, qui indiquait 11h 40.
La peste soit des fourbes réveils, grogna-t-il en assemblant les efforts de tout son corps dans le but herculéen de se lever de sa couette.

Il enfila son uniforme de fonction tout en buvant son café et grignotant sa tartine, avant de se sortir de ce dortoir bien trop chaleureux. Il se présenta au final à son poste deux minutes avant la relève, alors que ses collègues s'apprêtaient déjà à prendre place, tout en s'échangeant des souvenirs de la veille ou des réflexions sur le boulot.

Bientôt la sonnerie retentit, et tous purent prendre la place que laissaient ceux qui finissaient leur service.

Il s'assit sur son siège, tiédi par son prédécesseur, et cocha sa présence sur la petite fiche d'émargement, à côté du nom Walter G.
Gardien du temportail, c'était pas un boulot très épanouissant, ni très dynamique. Ils étaient juste là pour la décoration, en fait; fouiller deux ou trois sacs, contrôler l'identité de quelques jeunes, et rassurer les gens par acte de présence.

En même temps, qui commettrait un attentat sur la Jaune ? Y'avait que des champs et des sportifs, ici. Pas de différence d'opinion sur des grands problèmes scientifiques ou sur une question métaphysique. D'autant plus que quasiment tous les natifs de la Jaune, du fait d'un entraînement important dès leur enfance jusqu'à leur mort pour certains, étaient baraqués et taillés comme des statues grecques. Un bon moyen d'identifier ceux des autres temps; ils avaient beau être né des millions d'années après eux, ils seront toujours plus chétifs.

Il n'y avait décidément pas grand monde pour passer le temportail, à midi. L'énorme trombe silencieuse et lumineuse ondulait calmement, et une poignée de groupes entrait ou sortait de son torrent de lumière.
Voyager d'une Affras à l'autre, c'était simple. Au cœur de chaque ville, il y avait 4 temportails, des sortes de gros tourbillons brillants; chacun faisant voyager dans le temps jusqu'à une autre Affras. Il suffisait juste de marcher à travers, et en ressortant, on était à plusieurs centaines de milliers d'années plus loin dans le passé ou dans le futur.
Bien sûr, ces grosses trombes n'étaient pas naturelles; il y avait tout un système pour maintenir les temportails en place, ou même pour les éteindre lors de situations de crise.

C'était il y a dix ans, un volcan plus violent que les autres avait explosé dans la Rouge. Tout le monde s'était rué vers les temportails; et pourtant c'étaient des physiciens !
Et une règle fondamentale de l'univers est que "rien ne se perd, rien ne se crée". On ne pouvait pas simplement envoyer de la matière dans un autre temps, sinon le continuum espace-temps machin-bidule se déréglerait : il fallait un contrepoids.
Pour un humain, ou même un groupe d'humain, le dérèglement n'est pas très grave, et de l'air remplace la matière des voyageurs en quelques minutes.
Mais des milliers d'humains paniqués ? Là c'était plus lourd, et ça demandait plus que de l'air pour échanger.

Du coup, un des temportails de la Rouge s'était complètement désactivé, et les trois autres furent éteints par précaution.
Seulement 10 000 morts à cause de l'éruption, et peut-être une centaine perdus dans le temps, coupés en plein voyage et donc quelque part entre la Rouge et une autre, si leurs corps étaient restés intact pendant le trajet.

Il y avait parmi ces "perdus" une femme qui avait porté la même bague que celle qui scintillait encore à l'annulaire de Walter.
Mais bon. C'était il y a dix ans, hein ?
Le temps était fourbe, tout de même. Les temportails faisaient toujours voyager pour la même durée, si bien qu'on ne pouvait pas revenir "un peu plus tôt". Pour exemple, nous étions aujourd'hui le...

Ses yeux cherchèrent quelque part où la date était indiquée. Un journal, parfait.

Nous étions donc le 12 octobre 1 002 135.
Eh bien, on ne pouvait voyager que vers le 12 octobre 2 002 135, vers le 12 octobre 3 002 135, etcétéra, etcétéra. Pas de double du futur possible, donc, puisque personne ne pouvait aller dans le passé et attendre un million d'années pour rencontrer son soi d'avant.
De manière générale, toute trace des anciennes Affras avait déjà disparu lors de la construction d'une nouvelle, ce qui évitait tout un tas de paradoxes fâcheux. Impossible de prévoir donc la chute d'une des villes, puisque tout élément permettant potentiellement de dater ou d'identifier la catastrophe aura grandement eu le temps de disparaître en un million d'années.

Une vision du point de vue de l'univers du temps donnerait une longue ligne, sur laquelle les voyages dans le temps s'effectuent en avançant ou reculant d'un million d'années strictes, dans un sens ou dans l'autre, sans demi-mesure.

Une vision du point de vue de l'univers du temps donnerait une longue ligne, sur laquelle les voyages dans le temps s'effectuent en avançant ou reculant d'un million d'années strictes, dans un sens ou dans l'autre, sans demi-mesure

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Mais, du point de vue humain, puisqu'un million c'est long, ce seraient plus 5 segments superposés, entre lesquels l'on ne peut voyager que de manière purement verticale, comme les barreaux d'une échelle.

Mais, du point de vue humain, puisqu'un million c'est long, ce seraient plus 5 segments superposés, entre lesquels l'on ne peut voyager que de manière purement verticale, comme les barreaux d'une échelle

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Walter déplia le journal en s'affalant sur son siège, gardant un œil distrait sur les rares voyageurs de cette heure.

Affras, la Cité aux mille époquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant