Walter
« L'ironie du sort; un scientifique de la Rouge voulait démonter une superstition, mais l'a presque confirmée ! »
La suite de l'article expliquait qu'un homme avait voulu défaire la croyance populaire concernant les chrotales, ces étranges serpents dont le martèlement régulier de la queue contre le sol rappelait le tic-tac des aiguilles d'une montre.
La rumeur superstitieuse racontait que tuer un de ces serpents réduisait son temps de vie d'une journée.Le protocole scientifique était plutôt simple à mettre en place; faire un élevage de chrotales écervelés et énerfés, et en tuer suffisamment pour contrecarrer la croyance populaire.
Le testeur fut entre-temps mordu par un des chrotales tests, puis transporté en urgence à l'hôpital.Superstition: 1, Science: 0.
Un second article parlait du mariage prochain d'une actrice célèbre (de la Verte, comme presque tous les acteurs) avec une généticienne (de la Blanche, comme presque tous les biologistes), qui s'opposaient toutes deux aux mouvements anti-mulâtres qui gangrénaient Affras. Des illuminés qui prônaient des règlements plus stricts pour empêcher la mixité entre époques, les plus atteints scandant même les bienfaits de la fermeture des temportails.
Une belle bande d'abrutis, oui...
Walter feuilletait le journal, à la recherche d'un article d'intérêt. Des avancées dans chaque ville, oui, mais il y en avait tout les jours et ça ne changeait jamais le monde. En particulier les avancées de la Verte, puisqu'elles n'étaient que purement théoriques.Sa montre vibra à son poignet. Il ne savait que trop bien ce que cela signifiait; le service reprenait.
Alors qu'il se mettait en marche vers les postes de gardes pour reprendre son matos, sa montre vibra à nouveau. Cela n'arrivait pas souvent, mais parfois, on l'appelait pour une mission autre que la barbante garde des temportails, souvent de la sécurité ou une inspection.Un glisseur l'attendait déjà à l'extérieur, sans doute déposé là par un subalterne. Il grimpa dessus et l'alluma grâce à son empreinte génétique; le véhicule était bien programmé pour lui. En quelques minutes, il quitta la périphérie de la Centropole d'Affras pour débouler sur des champs agricoles à perte de vue.
L'entièreté de la Jaune, et pas seulement d'Affras la Jaune en temps que ville mais en tant que planète à une époque donnée, était recouverte de cultures de toutes sortes. Blé, maïs, toutes sortes de céréales, de vergers suspendus pour les fruits, de serres verticales pour les légumes, d'usines de production pour les viandes...Oui, les viandes "poussaient". Il y a quelques décennies encore la viande était produite par des batteries de bétail écervelé et énerfé; la prouesse génétique de la Blanche avait permis d'élever le bétail sans qu'il n'y ait aucun signe de souffrance, mi même de stress, ni même... d'aucun ressenti quel qu'il soit, en fait; le BÉÉ (Bétail Écervelé et Énerfé) n'était qu'un tas de cellules musculaires et osseuses, sans aucun système nerveux d'aucune sorte, et ce dès la fécondation elle-même. Aucun réflexe, aucun instinct, les BÉÉ étaient peu ou prou des légumes animaux, même si les légumes eux-mêmes ressentaient plus de choses que ces tas de viandes.
Ce système était un peu trop coûteux, une grosse part de l'énergie consommée par le BÉÉ servait à faire les os, les poumons; des organes qui en plus d'être des déchets car non comestibles faisaient une gigantesque perte de potentiel, l'énergie utilisée pour ces organes-là n'étant pas dirigé vers des zones plus utiles.La Blanche a donc redoublé d'efficacité pour faire des cellules animales se développant comme des végétales; des tissus musculaires et c'est tout. Sont donc nées les usines de production, de grands panneaux verticaux où poussent les viandes. Et dire qu'il y a un siècle peut-être, nos ancêtres devaient tuer des animaux pour se nourrir...
Le glisseur lui indiqua enfin la raison de sa mission, une fois en plein milieu de la campagne. Il avançait encore vers l'horizon.
Alors... Perturbations temporelles détectées dans un champ, risques de voyageur illégal... Abattre le responsable de la distorsion.
Un lieu, une cible. C'était simple, comme ça, et Walter aimait la simplicité de ses métiers. Le glisseur finit par se stabiliser après une heure de route, au milieu de nulle part, et le gardien put descendre, équipé en conséquence.
Un drone de reconnaissance fut envoyé pour trouver une trace du malfaiteur; et ce ne fut pas long. Un cratère de cinq mètres de rayons avait défriché les plantations de blé, dessinant de bien étranges formes circulaires en couchant les céréales au sol.Walter s'y rendit, son compagnon mécanique survolant la zone et lui indiquant le chemin. Depuis le sol, il ne voyait que les plantes d'Or qui avaient donné à son époque le surnom de la Jaune, et ce à perte de vue.
Aussi, ce fut un léger choc de tomber d'un coup sur une clairière de blé couché, une forme humanoïde à genoux au centre de ces cultures détruites.Il dégaina son arme de service, et avança lentement vers l'individu, le menaçant très clairement de son canon.
« Sécurité d'Affras !, se présenta-t-il en hurlant. Veuillez vous retourner et décliner votre identité ! »Et elle se retourna. De grands yeux verts émeraudes brillants et rougis par les larmes, une chevelure brune ondulée qui encadrait et masquait légèrement l'ovale parfait de son visage, une robe jaune et rouge qui appuyait le teint doré de sa peau... Une bague rouge et jaune à l'annulaire gauche de ses petites mains aux doigts de fée. La même que portait Walter sur la main qui tenait fermement son arme, et dont le visage était d'une pâleur mortuaire.
Cela faisait dix ans, et elle n'avait absolument pas changé depuis. Pas une seule ride, rien; elle était exactement la même qu'auparavant, la même qui avait pris son cœur il y a plus d'une décennie, pour ensuite disparaître avec.
« Wa... Walter, c'est toi ?
Il déglutit avec un sanglot.
- Pourquoi tu me pointes ?
- Je t'aime, Zinang. »
Il pressa la gâchette de son arme, et la balle traversa le front lisse de la femme, qui s'écroula lourdement sur le blé couché.
Avant de partir, Walter déposa sa bague à côté du corps de plus en plus froid de sa femme.Mission accomplie.
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Affras, la Cité aux mille époques
Ficção Científica5 ères, espacées d'un million d'années chacune, constituent le monde d'Affras. Cinq cités différentes, construites au même endroit mais à des millénaires d'écart, se succèdent et échangent leurs savoirs, dans le but de percer tous les secrets de l'u...