C H A P I T R E I

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Qui pourrait penser que dans cette chambre où les teintes neutres gris et blanc s'alternent, Abby puisse s'y trouver à sa place. Pas elle, mais la loi interdit les couleurs vives et plus généralement, tout ce qui n'est ni blanc, ni gris clair.

Sa grand-mère aurait tout donner pour lui offrir mieux que cette chambre digne d'un hôpital délabré mais le Gouverneur du Centre l'a vite rappelée à l'ordre : "Dura lex, sed lex, ne l'oubliez pas, Madame Jones". A ces mots, la grand mère Jones avait chuchotée à l'oreille de sa petite fille : "Celui-là abuse vraiment des proverbes latins !" Sans rien ajouter, le Gouverneur était reparti; Abby n'eu jamais droit à ses tapisseries remplies d'Arcs-en-ciel...

Aujourd'hui encore, les murs de sa chambre étaient gris. Tout comme son lit, fait au carré sous sa fenêtre, ou bien le petit bureau métallique qui fait face à la porte blanche donnant sur un long couloir noir qu'aucune lumière extérieure n'éclaire. Mais aujourd'hui, Abby ne se formalisa pas des murs gris de sa chambre, ils étaient plutôt en parfaite adéquation avec son esprit à l'aura sombre. Sa grand-mère avait lâché son dernier souffle hier, et si la jeune fille se trouvait dans sa chambre, c'était pour revêtir la robe bleue nuit qu'elle devait porter pour les événements importants, et uniquement pour les événements importants. Un enterrement était considéré comme quelque chose d'important, et n'échappait apparemment pas aux codes plus que strictes du Centre.

Abby qui était d'habitude joyeuse et qui s'amusait souvent un rien n'avait jamais paru aussi normale qu'aujourd'hui aux yeux des habitants du Centre. Elle ne courait pas de rues en rues, de dortoirs en dortoirs, elle marchait. Le dos droit et la tête haute, avec ce regard neutre et légèrement suffisant qu'arboraient souvent ses compatriotes – bien qu'à ses yeux le Centre n'ait rien d'une patrie.

Quand elle sortit de sa chambre, elle fila droit devant elle suivant la ligne droite du couloir noir. Elle prit l'ascenseur jusqu'au rez-de-chaussée, la cage noire sentait le renfermé – comme toujours – et quelques violons jouaient un air morbide dans ses hauts parleurs grésillants. Ce fut sans regret qu'elle retrouva l'extérieur. Le ciel était gris aujourd'hui. Ce ciel était artificiel, il était apparemment contrôlé par un ordinateur à l'algorithme aléatoire. C'est pourquoi, la météo n'avait plus aucune utilité ici – on ne peut pas prévoir les décisions d'une machine à l'algorithme aléatoire. Abby soupira, emprise d'un soudain sentiment de mélancolie, il était rare que le ciel soit bleu, pourtant hier il était azur.

Elle marchait d'un pas rapide jusqu'au centre politique et judiciaire de l'Atrium. C'était un grand bâtiment en verre qui devait mesurer cinq mètres de haut bien qu'il fût de plain pied.

"Très superficiel, pensait-elle, leur manière – peu fine – de nous faire comprendre qui dirige."

Elle n'avait pas tort, les barres grisâtres et ternes dans lesquelles vivaient le peuple d'Atrium avaient tout à envier au design ultra moderne et épuré du Centre Politique et Judiciaire. D'une démarche décidée, elle s'avançait, prête à rendre une ultime visite à sa défunte grand-mère. Son reflet la suivant le long de la surface vitrée du Centre, elle atteignait les portes coulissantes. Elles étaient équipée d'un système permettant de surveiller et de restreindre les allées et venues : seules les personnes invitées à s'y rendre peuvent les passer, sinon, elles ne s'ouvrent pas. Elle se posta devant, les bras croisés sur sa poitrine et le regard perçant, levé en direction de la caméra faisant également office de capteur. Ses cheveux blonds – presque blancs – coupés au carré restaient immobiles malgré le vent qui soufflait en légères rafales. Ceux-ci la dégoûtaient, elle avait les cheveux roux, à la limite du rouge, mais cette couleur, bien trop chaude pour l'Atrium, avait été camouflée par une teinture qu'elle renouvelait chaque semaine.

A T R I U MOù les histoires vivent. Découvrez maintenant