Le golem de tourmaline

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Sombre sur la neige pâle, la créature dormait. Ses lourdes paupières de tourmaline noire masquaient ses yeux de telle sorte qu'on le crût endormi et ses membres gigantesques reposaient au sol. Elle semblait paisible, presque sympathique au milieu du froid cruel des Brumes.

Il arrivait parfois qu'un voyageur effrayé prenne ce monstre pour une figure protectrice, en ces lieux hostiles. Parfois poursuivi, parfois blessé, parfois égaré, il accourait pantelant vers l'immense humanoïde de pierre. Il se cachait derrière lui, cherchant l'asile de son corps massif. Souvent, la large main constituait pour lui un abri sûr et solide.

Mal lui en prenait. Sitôt que l'on effleurait la créature, les volets de tourmaline s'ouvraient. Dessous, les orbites vides de tout regard s'illuminaient d'un blanc effroyable. Les doigts désormais animés étreignaient le fragile malheureux, et ses os craquaient telles des branches mortes et gelées. C'était là le seul bruit qui accompagnait la douloureuse agonie du voyageur infortuné.

Son travail achevé, le monstre rejetait sur la neige immaculée le frêle corps désarticulé. La lueur froide de ses yeux frissonnait encore un peu avant de s'éteindre. Il retombait alors, reprenant sa position initiale.

Il n'avait pourtant pas toujours été tueur, lui semblait-il. Il se souvenait – vaguement, si vaguement... – avoir été façonné hors de ces lieux d'une beauté désolée. Seulement, on l'avait une fois forcé à donner la mort, et, à cet instant précis, c'en avait été fini : il n'était plus qu'un vil meurtrier. La volonté des Brumes était sienne, et les Brumes le voulaient fait de sombre glace tranchante.

Le golem de tourmaline n'était plus qu'attente, hibernant jusqu'à la prochaine proie. Ainsi dormait-il, enchaîné par la douce neige.

Les Brumes | Recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant