La petite fille solitaire

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La petite fille avait froid. Les flocons, à force de se poser sur elle, avaient blanchi ses cheveux et décoloré ses vêtements. Ses joues, elles, étaient rougies par l'air glacé, comme deux taches vives sur sa peau pâlie par le manque de soleil.

Elle avançait solitaire, de la neige jusqu'à mi-cuisse, ses bottes détrempées invisibles sous la couverture froide. Peut-être avait-elle été accompagnée, autrefois, par d'autres voyageurs, peut-être avait-on veillé sur elle, qui n'était qu'une enfant après tout, au début de cette longue traversée ; mais si tel était le cas, elle ne s'en souvenait pas. Sa mémoire était plus blanche que les plaines enneigées.

La petite fille savait seulement qu'elle avait froid et que ses pieds la faisaient souffrir. Elle marchait depuis longtemps sans doute, car elle ne se rappelait pas du moment où elle avait cessé de sentir ses jambes.

C'était une bien pitoyable créature qui errait là.

Aucun monstre ne voulait d'elle, aucun piège ne la prenait. Les rares voyageurs eux-mêmes l'évitaient, croyant à une énième abomination déguisée. Et elle sentait que cela venait, qu'elle devenait comme tous ces êtres cruels qui erraient dans le brouillard dense sans jamais trouver le repos ; elle sentait son corps qui se transformait, qui se donnait au froid sans qu'elle n'eût son mot à dire. Les Brumes, petit à petit, la faisaient leur.

Mais la petite fille n'aimait pas les Brumes. Elle voulait sortir, s'en aller de cette prison blanche où le temps n'existait pas, où elle aurait à jamais huit ans et des pieds douloureux. Il y faisait trop froid, et elle y était trop seule.

Alors elle se mit à implorer, tous les cent pas d'abord, puis tous les cinquante, dix, deux pas. Elle finit par s'arrêter complètement, et tomba à genoux en pleurant des larmes qui gelaient aussitôt. Elle suppliait la neige de cesser de tomber, elle suppliait le brouillard de se dissiper, elle suppliait les Brumes d'ouvrir pour elle leurs portes indistinctes qui menaient au-dehors.

Mais les Brumes n'ouvraient pas leurs portes, le brouillard ne se dissipait pas et la neige ne cessait pas de tomber.

La petite fille implorait encore lorsqu'elle se recroquevilla à terre. Elle ne se releva pas, laissant les flocons lui faire une douce couverture.

Elle s'endormit les joues encore gelées de ses larmes.

Les Brumes | Recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant