[2] Nebqed

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« De même que la lumière fait paraître elle-même et les ténèbres, de même la vérité est sa propre norme et celle du faux »
Baruch Spinoza

Le noir. L'obscurité. Les ténèbres.
Reisen avançait à l'aveugle, ses yeux ne lui étaient d'aucune utilité, son instinct, quant à lui, le guidait dans les sinueuses galeries qui constituaient les souterrains .

Son instinct, mais qu'est-ce que l'instinct?
Je ne saurais répondre à cette question. À vrai dire, c'était quelque chose en lui, [le voyageur] qui l'avait toujours guidé.

Cela faisait maintenant une bonne heure qu'il parcourait ces galeries. Il aperçut au loin une petit lueur blanche, et, au fur et à mesure qu'il s'en approchait elle grandissait de plus en plus. Le voilà qui s'en approche toujours plus près, elle n'est plus qu'à quelques pas ; le voyageur ouvre grands ses yeux et.. Une lanterne, une simple lanterne accrochée à un mur juste à droite d'une porte, une porte de bois noir.

Nebqed vivait seul. Dans le froid et l'obscurité. Mais après tout, peu importe; ses yeux lui permettaient de voir, de voir aussi bien dans la lumière que dans les ténèbres. De plus, il s'était habitué à la solitude dès son plus jeune âge, conscient de l'importance de la tâche que l'on lui avait confié. De temps en temps il sortait, il est vrai, il s'autorisait une petite balade dans l'immense ville qui surplombait sa maison ; l'extérieur lui paraissait sublime. Il rêvait d'explorer le monde, ce vaste univers dont la quasi-totalité lui était inconnu ; son devoir le rappela à la raison. Il était le gardien de la pierre. Et comme tout bon gardien, il devait la protéger. La créature aux yeux jaunes semblait perdue dans ses pensées quand un grincement la fit sursauter ; sa porte, celle de son couloir avait été ouverte. Il se leva d'un bond et fila à toute allure. Les visiteurs ne lui apportaient que des problèmes. Personne ne devait savoir qu'il vivait là, avec la pierre. Que faire de ceux qui s'aventuraient trop près de lui alors ? C'était ce qui le tourmentait depuis un certain temps, depuis que le jeune enfant l'avait croisé. Celui-ci, il l'avait enfermé dans une petite cage en métal, se trouvant dans l'incapacité de l'assassiner froidement ; Nebqed n'avait jamais été mauvais. Il maudissait ces foutues responsabilités qui le maintenait ici dans la solitude et le froid. Enfin bref, peu importe ; que pouvait-il y changer? Il était le seul descendant des siens, le seul gardien toujours vivant, en tout cas ici, à Elpis ; il se devait de garder ces lieux.

Le grincement de la porte avait brisé toute chance de discrétion. Peu importe, Reisen passa la porte et s'installa au sol, histoire de se reposer légèrement. Il se frotta les yeux, ils le brulaient, le sommeil lui manquait ; il se promit à lui même qu'après tout cela il ferai un long somme. Lui aussi avait besoin de dormir après tout.

Nebqed approchait. La porte ne devait plus être bien loin, il inspira profondément et se dirigea vers celle-ci d'un pas décidé. La porte était entrouverte mais personne ne se tenait face à lui, il fouilla alors partout dans son champ de vision et le trouva ; l'intrus. Assis au sol, les yeux fermés. Cette posture énerva le gardien ; il entrait chez lui sans permission et il se permettait de s'endormir sur le pas de sa porte ? C'était trop.
Des mots d'une étrange puissance sortirent de sa bouche, ils étaient comme amplifiés (était-ce un tour de sorcier?) :

« INTRUS, TU M'AS BIEN TROP MANQUÉ DE RESPECT, EXPLIQUES TOI OU PRÉPARES TOI. »

Le voyageur qui s'était assoupi se réveilla en sursaut. Nebqed se dressait devant lui, de nombreuses pupilles jaunes éclairaient son visage ; il n'avait rien du vieux sorcier dont tout le monde parlait. Il paraissait en vérité plutôt jeune, aucune ride, une carrure de jeune homme mais pas un cheveu [une capuche recouvrait le haut de son crâne] , de courtes dents aiguisées ; le reste de son corps semblait identique à celui des espèces les plus banales.
Le voyageur se leva et fixa Nebqed dont il avait nullement peur, le jugeant d'un sourire. Il s'expliqua alors auprès du jeune gardien d'une voix calme et grave :

« Salutations gardien. » sa voix était calme et apaisante, à l'image de sa personne.

« Je suis venu jusqu'à toi pour ce que tu gardes dans ton dédale. »

Il prit une légère inspiration et d'un ton solennelle déclara :

« Je suis là pour la pierre. » 

Le voyageurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant