[6] Quand vient la nuit

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« Ce n'est pas le jour qui vient, c'est la nuit qui se retire. »
Erri de Luca

Si je vous parle de la lune, que voyez vous? Moi, je vois une petite lueur, une faible lumière qui brave l'obscurité quand les ténèbres nous entourent.
Maintenant, imaginez vous une nuit sans lune, une nuit froide où il manque quelque chose. Une nuit effrayante, complètement noire. Évidemment, il y a les étoiles, de nombreuses étoiles ; mais celles-ci ne remplacent pas la lune. Et ici, il n'y a pas de lune. Alors, quand vient la nuit, les ténèbres sortent de leur cachette pour engloutir les voyageurs égarés. À Nuwa, il est bien connu qu'il ne faut pas sortir la nuit ; car la nuit les ténèbres sortent et avec eux de monstrueux démons. Mieux ne vaut pas être à l'extérieur quand vient la nuit.

Les soleils descendaient de plus en plus dans le ciel nous rapprochant de plus en plus de l'obscurité. Le voyageur se décida alors à se reposer, il se mit dos à un arbre. Il s'installa confortablement en fredonnant un petit air, une musique magnifique, magnifique mais tellement triste ; c'était son air favori. On aurait dit que le sifflement du vent l'accompagnait et sur ce duo les étoiles apparurent dans le noir du ciel.

Dès que les soleils ne furent plus visible, un terrible calme s'installa en Nuwa. Aucun son, seul le sifflement du vent et son action sur les feuilles des arbres pouvaient être perçus. Un silence bien trop pesant.

Un craquement le fit sursauter. Il ouvra les yeux, attrapa son couteau (c'était un petit couteau bien aiguisé, la lame était en argent et le manche en bois d'ébène) et tendit l'oreille. Plus rien. Il se rallongea calmement, garda sa lame au creux de sa main mais ne ferma pas l'oeil tout de suite. Il attendit un moment et quand ses yeux commencèrent à le bruler comme s'il regardait les soleils, ses paupières se fermèrent et il rêva.

Il fut pris d'une grande douleur dans le bas du ventre, mais il rêvait, ce n'était qu'un rêve, non?
Mais la douleur grandissait, encore et encore ; ce n'était pas qu'un rêve.
Il sortit de son rêve et jeta son regard sur le bas de son ventre. Il y avait cette chose, on aurait dit un petit rat mais avec des centaines de dents en plus et un pelage couvert d'épines ; il se faisait grignoter. Il planta sa lame dans la bête sans hésitation, à plusieurs reprises puis la projeta loin de lui. Il regarda son ventre, rien de grave, il s'était réveillé à temps. Une seconde petite bête identique à la première tomba de l'arbre et arriva sur sa tête, à peine arrivée que le voyageur l'empala et il en arriva encore et encore. Jusqu'à que le voyageur soit recouvert du sang verdâtre de ces bestioles, derrière lui se tenait une montagne de cadavres. Il descendit dans un ruisseau qui se trouvait non loin pour se rincer, écoeuré  par l'odeur putride dont ces sales bêtes l'avaient imprégnés. Et, de nouveau, d'étranges oiseaux descendirent sur lui en piqué ; un unique oeil rouge, pas de bec mais des dents aiguisées ainsi que de longues ailes jaunâtres, de véritables erreurs de Dame Nature pensa-t-il. Tout cela l'énervait au plus haut point, si bien qu'il ne s'amusa plus, d'un geste en leur direction les dizaines de bestioles volantes s'écrasèrent en cercle autour de lui. Il put enfin se laver, et en cherchant de nouveau un coin pour s'assoupir car ses pauvres yeux commençaient à se clore, il fit une nouvelle rencontre. Elle ressemblait à une fée, minuscule et des cheveux d'or, elle était là posée sur une basse branche d'un arbre. Alors, évidemment, il se rapprocha lentement d'elle et à peine eut-il l'intention de lui toucher un mot que ce magnifique être fit volte face, ouvrit ses crocs et lui croqua à pleines dents dans le bras. Il cria, non pas de douleur mais d'étonnement. Il injuria alors cette sale bête qui venait de le tromper pendant que celle-ci s'envola dans les airs, un rire abominable sortait de sa bouche.

Et sa nuit entière se déroula ainsi, toujours plus de rencontres qui finissaient par lui ajouter toujours plus de nouvelles cicatrices. Pourtant, il se trouvait chanceux. Après tout, il ne les avait pas croisés.

Quand vient la nuit les démons sortent.
Ils attendent aux aguets, leurs prochaines victimes.

Le voyageurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant