Le voyageur

[7] Dernière étape

« C'est l'incertitude qui nous charme. Tout devient merveilleux dans la brume »
Oscar Wilde

Et de une, et de deux, et de trois. Cela faisait bientôt quatre semaines que Reisen avait quitté Elpis. Il enchainait de fatigantes nuits à affronter de drôles de bêtes et lorsqu'il réussissait à se trouver un coin tranquille, ses tourments prenaient le dessus et il ne se reposait que très peu, trop peu. Mais sa fatigue n'était rien, seul son objectif importait.

Les landes comme on les appelait maintenant était tout ce qu'il restait du royaume des trois frères. Et, à leur bordure se trouvait un village assez peu peuplé, en effet seuls les braves vivaient aussi près de ces terres désolées. Ce village s'appelle Kò tout simplement car ils n'étaient qu'à deux doigts du chaos. Kò marquait la dernière étape avant d'arriver dans le paradis perdu, et c'est là que la route du voyageur le mena.

Une centaine de cabanes de toutes tailles et de toutes formes formaient Kò, mais Kò n'avait rien d'une ville fantôme comme nous aurions pu nous l'imaginer. Au contraire, tous ses villageois vivaient dans ses rues, les rues de Kò formaient une véritable place marchande. Des marchands à tout va, une diseuse de bonne aventure et même des musiciens. Kò était un lieu de passage pour courageux aventuriers, marchands audacieux et gardes de la frontière. Ainsi, jamais le chaos ne prenait le dessus sur Kò.

Regardez, voilà Reisen qui entre dans la ville, le voilà qui s'adresse à un homme, un jeune marchand et lui demande ce qu'il aurait de bon à vendre. Il achète un petit sac de pommes en échange de quelques pièces avant de continuer son escapade dans les rues. Il croque dans sa pomme lorsqu'il entend des sanglots, ceux d'une petite fille. Elle était assise, là, la tête aux creux de ses mains. Il s'approcha d'elle et se sentit obligé de l'aider.

« - Pourquoi pleures-tu petite?

Il y eut un silence dans la grande rue, puis une bourrasque et de nouveau le silence. L'attention semblait centrée sur eux. La petite releva la tête, et l'on put alors voir ses yeux ; deux grands yeux aux couleurs des nuages qui semblèrent apaiser tous les maux du voyageur. Ses larmes coulaient le long de ses joues comme la pluie serait tomber des nuages. Il ne pouvait la laisser comme ça. Mais en même temps ses yeux le perturbaient, il y avait quelque chose en eux de différent.

- Je..je..c'est mon frère..il m'a laissée toute seule. »

Elle renifla avant de se remettre à pleurer. Le voyageur sortit un bout de tissu d'une de ses poches, il s'accroupit, lui essuya ses larmes et lui posa le tissu sur les mains.

« - tiens, je te le donne

- merci » dit-elle d'une toute petite voix

Elle mit le tissu sur ses yeux et versa toutes les larmes qu'elle pouvait. Pendant quelques minutes aucun des deux ne parlaient. Puis Reisen l'interrogea

«  - Où est-il parti, ton frère?

- il..il est parti dans les landes. Là bas. » elle pointa du doigt la sortie du village et l'entrée des terres désolées.

« - Ton frère, il a des yeux comme les tiens? À quoi ressemble-t-il?

- je..oui..peut-être, je sais pas.

- tu ne sais pas à quoi ressemble ton frère?

- monsieur, elle renifla, je suis aveugle »

Il comprenait enfin, bien sûr, pourquoi n'y avait-il pas pensé avant? Il était stupide. De tels yeux.

«  - je vais chercher ton frère » déclara-t-il

Il se releva, mis son petit sac sur une épaule. Il chuchota quelques mots à l'enfant avant de se diriger vers la sortie du village. Vers les landes.