Le voyageur

[4] Un paradis perdu

« On ne sait pas ce qu'est le paradis, à moins de venir d'ailleurs. »
Joyce Carol Oates

Il était une fois un roi qui était juste et bon avec son peuple ; tous l'adulaient. Ce roi se maria dès qu'il fut en l'âge de le faire avec la femme qu'il aimait plus que tout. De leur amour naquit des triplets ; trois petits garçons. Ces trois là avaient grands coeurs, ils étaient intelligents, pleins de malice et toujours souriants. À la mort de leur père, ayant passés toutes leurs courtes vies ensemble, ils décidèrent de gouverner leur grand royaume main dans la main.

Le premier était passionné par les sciences, il ne cessait de chercher encore et toujours, toujours plus de théorèmes et d'inventions. Il passait son temps à expérimenter de nouvelles choses, un véritable savant fou. Le second, lui, était féru d'art ; de la musique, de la peinture, des livres mais aussi de l'art de la guerre ( il la considérait à priori comme un art, ce qui m'étonnera toujours). Le dernier, le plus sage, aimait plus que tout voyager, rencontrer de nouveaux peuples peuples, découvrir de nouvelles cultures et de nouvelles espèces. Il partait bien souvent en voyage, seul, sur les routes. Et dès qu'il revenait, son peuple au complet le recevait ; tous l'adoraient. Les jeunes frères grandirent peu à peu, chacun vivait de sa passion et tout allait pour le mieux au royaume. C'était un magnifique royaume ; certains le nommaient Paradis.

Mais vous le savez tous ; il y a toujours un mais. Et nous y sommes.

Il y eut un problème. Une dispute. Un duel. Deux des trois s'affrontèrent, un des deux fut tué. Celui qui aimait les sciences s'était battu jusqu'au bout mais son frère en bon belliciste ne lui laissa aucune chance. Aujourd'hui personne ne sait pour quelles raisons se sont-ils battus. Cela étant, il ne restait plus que deux frères. « Un de trop » pensa le fratricide. À son retour, le prince voyageur dut affronter son frère (bien qu'il ne le considérait plus comme tel) , et il le fit, en mémoire de son défunt frère. Il n'y eut pas de vainqueur. Celui qui voyageait finit par s'enfuir, il le ne pouvait rivaliser.

Il y eut des révoltes, des batailles, des massacres ; il y eut des morts. Le peuple, furieux de la perte de ses deux rois se révolta. Une époque teintée de sang où mort était le maitre mot.

Des années durant, l'ancien roi continua son périple, trop honteux pour retourner dans son royaume passé. Un jour, il s'installa, fonda une famille et il vécut ainsi, heureux, pendant de longues années.

Chaque nuit il pensait à son royaume, à son peuple, se jurant d'y retourner un jour. Et ce jour arriva, il avait la quarantaine et se sentait prêt à affronter son « frère ». Il partit en voyage en direction de sa terre natale.

Il marcha et marcha pendant de longues semaines avant d'arriver à destination. Il arriva mais ne reconnut plus rien du paradis qu'il avait connu. Ce n'était plus qu'une vaste terre sombre. Là où se dressaient des arbres fruitiers verdoyants se tenaient des tombes. Là où l'on pouvait observer un immense lac d'un bleu azur se tenait un marécage, plein de boue et de cadavres. Enfin, là ou se trouvait son palais, sa cité, son peuple ; il n'y avait plus que la mort. Ces terres où gisaient la vie, les hommes et la Nature n'existaient plus ; ce paradis n'existait plus. Et tout ce qu'il avait connu n'était plus qu'un amas de poussière.

Il s'écroula à genoux et fondit en larmes, des jours durant il se lamenta sur son sort, il voulait mourir tant le poids des remords l'accablait. Puis il se rappela, cette ancienne légende. Celle du coeur de cette terre. Celle de la pierre de Nuwa. La pierre qui donnait la vie.

Dès le contact avec la shigam, le voyageur s'écroula de fatigue. Nebqed le porta sur son dos jusqu'au lit le plus proche. Il le posa là et le laissa se reposer. Il semblait apaisé.

Nebqed, lui, était maintenant libre. Vous vous souvenez du petit garçon prisonnier de la cage? Il le libéra instantanément. Et à son tour, il alla se reposer, serein.