4 - Vous parlez français ?

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LUI
Après plus d'une heure de course dans la forêt, je reviens chez moi, en nage. Je pousse les battants sans me soucier du verrou, que je n'ai, de toute manière, pas fermé. A quoi bon lorsque les seules choses précieuses que l'on a chez soi se résume à un pistolet sous l'oreiller ? D'ailleurs, il va falloir penser à le planquer mieux que ça. Se serait con de me faire prendre comme un bleu et de passer cinq ans en prison. Payer l'amende n'ébranlera pas mon porte-monnaie, mais je préférerais me tenir loin de la taule. Je pars me doucher et le jet parvient à apaiser mes muscles durcis par l'effort. En passant ma main sur mon torse, j'agrippe machinalement ma plaque, constamment autour de mon cou. Que je dorme, cours ou fasse une autre activité, elle se tient toujours là, contre ma peau. Sans elle, je me sens trop nu. Trop à découvert. Mes doigts caressent distraitement le métal, avant de glisser sur son jumeau, dont l'inscription diffère. Douche froide. Je coupe l'eau, en jurant tout bas, des images pleins la tête. Des images qui, pour le coup, auraient mieux dû disparaitre de mes pensées.

Je ne passe pas longtemps dans la salle de bain, n'ayant pas grand-chose à y faire de toute manière et redescend rapidement, avant de me diriger vers la cuisine, en quête de nourriture. Tandis que mon steak et mes haricots cuisent, je lorgne l'extérieur en apercevant un mouvement. Comme d'habitude, l'expectative me fait imaginer le pire et je vois, par effet miroir, des soldats accourir pour prendre la maison à revers. Je me force à cligner des yeux et m'aperçois qu'au lieu d'un char d'assaut, la voiture de ma voisine s'engage dans le chemin et rejoint son garage paresseusement.

-        Mon vieux, tu deviens complètement dingue...

Je pousse un long soupir en me passant une main sur le visage, m'en vais retourner mon bout de viande, puis reviens à la fenêtre juste à temps pour apercevoir un enfant sauter du véhicule. Apercevant les poules de madame Lacombe, il piaille quelque chose à la conductrice puis commence à les poursuivre, au grand drame des animaux. Je l'observe faire, à la fois attendris et bouleversé par cette vision. Notre enfant aurait pu faire la même chose, lorsque je l'aurais ramené de l'école. Seulement, Elo est partie sans me laisser un mot, sans me laisser une dernière chance. Pas de petit garçon courant et riant dans cette maison. Personne dans la piaule pour parler aux animaux sur le mur. La jeune femme entraperçue hier sort alors de la voiture, et regarde un moment son fils jouer. De là où je me trouve, impossible de voir son visage, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle semble au bout du rouleau. Son pull trop grand semble prêt à l'avaler toute entière lorsqu'elle se penche pour attraper son sac. Je la suis des yeux lorsqu'elle part ouvrir la porte, invitant le bambin à revenir. Assez surprit, je note qu'il ne fait aucune vague, revient sur ses pas et rentre dans la bicoque, en discutant calmement avec sa mère.

A sa place, à son âge, je n'aurais pas écouté ma mère et aurais continué à chasser les poules. Il n'y a pas de doute là-dessus. J'ai toujours été un gosse particulièrement turbulent et ça ne s'est pas arrangé avec l'âge. Mon enfance a pourtant été rêvée, même si je voyais rarement mes parents. C'était mieux comme ça. Mes paternels et moi avons toujours eu une vision bien différente de la vie. A l'adolescence, j'ai commencé à me rebeller contre le système parental et, même de l'autre côté de la Terre, ils ne l'ont pas très bien pris. Je me rappel de deux ou trois disputes particulièrement violentes. Cependant, je ne me souviens pas des moments de complicités avec eux. Mais cette fois-ci, ce n'est pas la faute de ma tête. Je n'ai jamais vraiment eu de très bons rapports avec mes parents et ne garde, au fond, qu'un vague souvenir d'eux. Pourtant, ils ont disparu à mes dix-huit ans. Longtemps, ça m'a posé un gros problème. A l'enterrement, par exemple, qui réunissait quelques centaines de personnes, j'ai bien été le seul à ne pas réussir à trouver une phrase gentille à dire sur eux. Je ne connaissais que leur discipline de fer, leur autorité à deux francs cinquante et leur sourire affable. Mon père était l'exemple même du riche financier, prêt à tout pour écraser ses concurrents, et ce, même à passer à côté de la vie de son fils. Ma mère, elle, a gardé le côté aristocratique de ses ancêtres et a toujours sut se montrer inflexible, tant en affaire qu'à la maison. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle possédait la moitié des parts de l'entreprise familiale, et qu'elle a toujours eu une relation conflictuelle avec son seul fils.

Section Aguara, TOME 1 : Pour quelques douleurs de plus [sous contrat]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant