5 - Vindicatif, comme tout le monde

2.1K 243 88
                                    

LUI

Après avoir ouvert toutes les fenêtres et jeter mon steak calciné à la poubelle, je me retrouve devant un feuilleton télé, ma boîte d'haricot entre les mains et un stupide sourire aux lèvres. Incapable de le retirer. Même la piètre qualité des jeux d'acteurs dont je suis témoin n'arrive pas à me rendre moins gaie. La brève mais intense discussion que j'ai eue il y a une petite heure avec ma nouvelle voisine m'a flanqué un coup de sang. D'abord mal à l'aise, j'ai bien rapidement compris que si je l'étais, la jeune femme l'était tout autant. Rien que croiser son regard, d'un joli marron, m'a permis de saisir la surprise et la stupeur ressentis qu'en à ma venue. Je ne peux pas lui en vouloir. Après tout, on ne croise pas tant de jeunes gens dans cette bourgade, et encore moins des... hommes comme moi. Loin d'être de la vantardise, je sais parfaitement que je détonne dans l'environnement, que je n'ai pas vraiment ma place ici. Ce village n'a connu que la paix et le calme plat. Je n'ai, pour ma part, l'impression d'avoir vécu que destruction et violence. Sauf avec Elo, qui m'apportait un rare moment de paix. D'oxygène.

Mais en tout cas, la voisine n'a pas eu l'air particulièrement ravie de me voir débarquer dans son jardin. J'ai eu l'impression de me retrouver face à une lionne protégeant son territoire. Peut-être qu'elle a compris que je n'étais pas qu'un jeune homme aimable. À cette pensée, un frisson d'appréhension dévale ma colonne vertébrale. Impossible. Même si j'ai parfois l'impression de porter encore des marques de blessures, des impacts de balles et le sang de mes ennemis sur le corps, je sais que tout cela n'est que dans ma tête. Ma très chère psy m'a plus d'une fois rassurée sur la chose. C'est uniquement mon cerveau qui me joue des tours, afin de me culpabiliser. Sauf que ça ne marche pas très bien. Je change brusquement de chaine et tombe sur un reportage de voiture. Immédiatement, j'ai une pensée pour le petit garçon. Benjamin. Il doit avoir cinq ou six ans, mais semble vraiment bien élevé. En tout cas, il l'était bien plus que sa mère. Celle-ci a évité mon regard pendant les dix minutes que j'ai passé avec eux et ne m'a même pas dit son prénom. J'observe un moment le plafond, me remémorant sa silhouette, cachée sous une tonne de vêtement, et son visage, masqué en partie par sa casquette. Pendant un instant, j'ai cru me retrouver face à une évadée de prison. Tout ce que je sais pour le moment, c'est qu'elle possède des yeux... pour le moins étrange. D'un marron clair, ils semblent avaler votre âme lorsqu'ils ne portent ne serait-ce qu'un instant leur attention sur vous.

Quelle bien étrange femme... Et me faire envoyer paitre comme ça ne m'était pas arrivé depuis un bout de temps. Depuis très longtemps même, à bien réfléchir. Sa voix douce, presque peureuse, s'est brusquement animée d'une fougue incroyable, afin de me remettre correctement à ma place. Je ne sais pas ce qui m'a pris de ranger par la suite ses courses, puis de m'en aller sans demander mon reste, mais ça ne me ressemble pas. J'avais l'impression d'être de nouveau un enfant, me faisant gronder par la gouvernante. A cette pensée, mes yeux roulent dans leur orbite et je pousse un grognement digne d'un homme des cavernes. Quelle vieille peau, celle-là ! Mes parents l'avaient recruté afin de subvenir à l'ensemble de mes besoins. Besoins semblant vraisemblablement rimer avec obligations dans la tête de mes paternels. J'ai passé le reste de mon enfance a tenté de la semer dans l'immense domaine qu'occupait mes parents à l'époque.

J'ai tout vendu, peu de temps après l'enterrement. Je n'ai rien voulu garder d'eux, ne voulant pas agrandir le malaise que je ressentais de ne plus les savoir sur mon dos en permanence. J'étais enfin libre, alors hors de question de rester dans cette grande maison que j'ai toujours détestée. Il me fallait un cocon plus agréable, davantage proche des gens. J'ai toujours eu une facilité étonnant à interagir avec autrui. J'adorais discuter avec mes voisins, lorsque je me suis installé ici. Même la mamie d'à côté, difficile à apprivoiser, m'a apprécié à la longue. Je l'aimais bien, celle-là. Je m'occupais souvent d'elle, lorsque j'étais dans le coin, son fils ne venant pas souvent la voir. Seulement, la dernière fois que je l'ai vu, elle ne semblait pas en grande forme. Elle m'a promit d'abandonner l'idée de vivre seule, ne pouvant visiblement plus répondre à ses propres besoins. Mais elle n'a pas attendu mon retour pour partir, elle aussi. Comme Elo. À la place, je me retrouve avec une étrange voisine, et un garçon bien trop obéissant pour son âge.

Section Aguara, TOME 1 : Pour quelques douleurs de plus [sous contrat]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant