7 - Ne pas montrer mon dos. Ne pas prononcer mon prénom

1.8K 238 47
                                    

LUI

Je me décide enfin à taper. Une. Deux. Trois. Et je répète les mêmes mouvements. Pendant un quart d'heure. Une heure. Je ne vois pas le temps passer. Je ne vois jamais le temps passer lorsque je fais du sport et c'est bien pour cela que j'en fais. Pour oublier le temps qui passe inutilement. Ce n'est que lorsque mes muscles se bandent, que mon corps transpire et que ma peau rougit sous l'effort que mon esprit se libère enfin de son carcan. Je peux alors oublier le moindre de mes problèmes. Oublier que je suis seule. Oublier qu'Elo m'a quitté. Oublier qu'il n'y a personne dans cette putain de chambre de bébé.

Je cligne plusieurs fois des yeux lorsque des gouttes de sueurs se mettent à perler aux bords de mes cils et lance un regard circulaire sur la pièce. Evidement, le gros sac de boxe fait tâche aux milieux des animaux de l'arche de Noé peints sur les murs. Evidement, je n'ai rien à foutre là, en short de sport, le torse luisant de transpiration. Et pourtant... Je n'ai pas pu m'en empêcher. C'est peut-être un pied de nez à Elodie. Elle qui a passé des heures en vide-greniers afin de trouver la perle rare qui servira de modèle pour embellir la chambre de notre possible enfant. Je sais qu'elle serait verte de rage de me savoir tout transpirant dans cette pièce.

A cette pensée, je ne peux m'empêcher de ricaner et de me remettre à taper dans le sac. Même si, très vite, j'en oublie ce qui m'a fait sourire et me revois frapper autre chose. Très vite, je n'ai plus un vulgaire sac devant moi mais le visage d'un ennemi. Le visage d'un ami. Le visage d'un mort. Mes coups se font plus durs, plus secs. Moins souples, plus rudes. La violence a toujours fait partie de mon quotidien, c'est un fait. Mais en ce moment, elle semble dominer tout le reste. Et depuis la mission, je suis englué dedans. Comme une mouche prise dans la toile d'une araignée. Prise au piège. Prix à mon propre piège. A ma propre violence. Je tape plus fort, en rythme avec les basses qui résonnent en arrière-plan. Je les entends pourtant à peine. Je suis déjà ailleurs. Déjà autre part. Déjà... avec eux.

- Aller les gars, on bouge !

Mon cri les fait réagir, mais trop lentement. Une nouvelle vague de balles s'abat sur nous et cette fois-ci, j'entends trois hurlements. Trois nouveaux blessés. Je n'ai pas le temps de me retourner pour compter le nombre de victimes et fonce jusqu'au prochain arrêt. J'entends les pas précipités de mes soldats, juste derrière moi et les ordres lancés par nos ennemis en face. Je sers les dents en maudissant ma propre stupidité. J'ai trop cru en notre bonne étoile. J'ai trop cru en nous. Malgré notre niveau et l'ensemble de nos autres missions remplies avec succès, nous n'étions pas de taille face à celle-ci. Et je ne m'en rends compte que maintenant.

Je me jette contre la pierre, et les autres suivent le mouvement. Hell me rentre presque dedans, avant de passer une tête en dehors de notre cache, pour vérifier l'avancer de la troupe en face. Il se rencogne bien vite contre moi avant de tourner son visage bariolé de terre et de sang vers moi. Pour le moment, j'en suis au même stade que lui : pas de blessure. Mais pour combien de temps encore ?

- Un groupe de vingt arrive sur nous.

- Combien de temps ?

- Trois minutes.

- Il y a du mouvement à six heures, nous signale l'un des nôtres.

Je lève les yeux en direction de l'endroit et ne mets qu'un bref instant avant d'apercevoir une arme en mouvement. Nous sommes en train d'être pris à revers.

- Vu. Combien sommes-nous ?

- Deux sont morts et d'autres sont à terre, grogne Hell en crachant par terre. Vingt valides pour le moment. Vingt-deux en nous comptant dedans.

Section Aguara, TOME 1 : Pour quelques douleurs de plus [sous contrat]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant