LUI
Je trépigne comme un chien fou dans la salle d'attente. Ma jambe tressaute sans que je n'arrive à la stopper, mes bras se croisent et se décroisent sans que je n'arrive à trouver une position confortable et, cerise sur le gâteau, un grand miroir a remplacé l'énorme meuble couvert de livres. Même si elle voit passer beaucoup de clients, et qu'elle a bien autre chose à faire que s'occuper de chaque cas lors de son temps personnel, je suis sûre qu'elle l'a fait installer rien pour moi. Afin de m'obliger à croiser mon reflet. Mais si elle croit qu'une simple ruse comme celle-ci arrivera à me faire flancher, elle me connait encore moins bien que je ne le pensais.
Je jette un coup d'œil en direction de l'autre patient et observe un instant le magazine qu'il tient dans les mains. Etant donné que la boite de mes parents est extrêmement en vogue en ce moment, je sais pertinemment que les dernières nouvelles la concernent. Aussi, je me tiens bien d'acheter le moindre journal ou de regarder la moindre source d'information. Je n'ai aucune envie de savoir comment elle se porte, et combien ça va me rapporter. Cela fait bien longtemps que j'ai compris que je n'aurais jamais de soucis financiers, alors la suite des opérations ne m'intéressent pas. Gérard peut bien s'amuser comme il le veut, je m'en fous complétement. Cependant, malgré toutes mes convictions, je ne peux m'empêcher de glisser un œil sur l'article que lit mon voisin. Les mots me marquent, comme au fer rouge, tandis que la photo au-dessus montrant ma compagnie, avec tous les gars, sourire Colgate oblige, me retourne l'estomac. Ces connards de journalistes mettent la réputation de la boite et mes actes dans le même sac. Comme si le sang sur mes mains avait imbibé le tapis persan du bureau de Gérard. Comme s'il était partisan de ce genre de barbarie.
En relevant les yeux, je croise ceux, limpides, de l'autre patient. Le fils de la boulangère, un jeune gaillard en manque d'affection, me renvoi mon regard sans broncher, avant d'émettre une hypothèse qui me fout plus bas que terre.
- Ce que tu as fait là-bas... C'est vrai ce qu'on dit ? Tu l'aurais fait pour le fric ?
Ma respiration se coupe et j'ai l'impression que mon cœur s'arrête. Des questions dans le genre, j'en ai eu à la pelle depuis mon retour de mission, par les journalistes, par mon avocat, par des gens lambda et même par mes hommes. Et pourtant, quand un gamin de dix-sept ans me demande ça, je ne parviens pas à garder un visage neutre. J'ai envie de vomir. J'étouffe, je panique, tandis que les grands yeux innocents me dévisagent dans le plus beau des silences. Je réfléchis à la meilleure réponse à apporter, je tente de trouver de quoi me défendre. Seulement, rien ne sort et je reste muet face à son innocence transparente. Cette candeur que je ne peux pas détruire en lui apportant la vérité. Car, il arrive que, parfois, la vérité n'est pas ce que l'on cherche. Parfois, il arrive qu'elle fasse plus de mal que de bien. Qu'elle détruise nos certitudes, au lieu de la consolider. Je sais de quoi je parle. C'est ce que j'ai vécu lors de ma première mission.
- Alors ?
Gamin... Je le connais, ce mioche. Je connais sa mère, son père, et je sais que je serais bien incapable de lui dire la vérité. Que les gens ne sont pas tout noir ou tout blanc. Le monde n'est pas si facile, car il recèle quantité de facettes. Je ne peux pas. Je ne peux pas lui dire que je suis le gars qu'ils décrivent dans ce torchon, mais aussi celui qui va acheter le pain chez sa mère. Je ne peux pas lui dire que je suis un monstre couvert de sang, et l'homme qui voulait un enfant. Je ne pourrai jamais me défendre. Surtout lorsque je ne regrette aucun de mes gestes.
- Je...
- Monsieur Moreau ?
Sur les nerfs, ma tête pivote d'un quart de tour sur la droite, entrainant un grand craquement dans ma nuque, qui me le fera payer demain. Je croise le regard bleuté que j'attendais et me prends une nouvelle claque, un nouveau mur à cent kilomètres heures. Du haut de ses quinze centimètres de talon, ses jolis sourcils se froncent en avisant la mine coupable de son second patient, avant que ses yeux azur ne reviennent se planter dans les miens. Mécontente, aussi froide que la glace, elle me fait un signe de tête, m'invitant à entrer dans son cabinet. Ne voulant pas davantage l'énerver, je me dépêche d'obéir, sans regarder le gamin et ce foutu miroir. Que j'aimerai exploser ce dernier !
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Section Aguara, TOME 1 : Pour quelques douleurs de plus [sous contrat]
Romance⚠️ 𝚃𝚘𝚖𝚎 é𝚍𝚒𝚝é 𝚌𝚑𝚎𝚣 𝙱𝙼𝚁 é𝚍𝚒𝚝𝚒𝚘𝚗⚠️ Tout souriait à Ethan. Une belle carrière militaire, un mariage idyllique... Jusqu'au divorce, jusqu'à une erreur lors de sa dernière opération. Appelé à la barre, le voilà sur la touche, sans pos...